U comme usurpation de terres
Pour bien comprendre cet épisode, qui semble avoir touché toute la partie montagneuse du Couserans, il faut revenir aux études démographiques. Sur la vallée de Massat, déjà M. de Froidour notait au XVII° siècle, "c'est une merveille de voir une quantité si considérable de monde en un si petit pays"
En 1804, le canton compte 12 391 habitants, en 1851, la population atteint son maximum avec 15 188 habitants ce qui représente 85 hab/km2, densité énorme en pays montagneux ! Or, ce chiffre reste presque stable jusqu'en 1876 (densité 84 hab/km2) puis s'amorce la décroissance (émigration), en 1946 le canton ne comptera plus que 4952 habitants (27 hab/km2). La vallée a donc perdu 2/3 de ses habitants en 70 ans ! (in Le dépeuplement dans les cantons de Massat et d'Oust .- INSEE ; Direction régionale de Toulouse, 1951 AD 09 Zq 185)
Les usurpations de terres, qu'elles soient domaniales ou communales, ont lieu durant cette période de surpopulation, c'est à dire au moment où le moindre lopin de terre est un facteur non négligeable de survie. Michel Chevalier souligne aussi que "les paysans n'ont plus désormais aucune possibilité légale (concessions de terres "hermes" seigneuriales, partage de communaux) pour étendre leurs terres ; l'usurpation... reste leur seule ressource." (Annales du Midi p. 325-329)
Concrètement, comment se passe le processus ? Il s'agit en fait d'un "grignotage" lent sur le pâturage ou la forêt qui jouxtent un champ cultivé que l'on "arrondit" petit à petit ce qui donne quelques rangs de pommes de terre supplémentaires après défrichage et amendement intense. Car la plupart des terres usurpées n'ont que peu de valeur, très pauvres et même à la limite à peine exploitables, mais nécessité fait loi, et il faut bien se nourrir.
En 1853, le Sous-Préfet de Saint-Girons reconnaît lui-même que les usurpations "sont le fait de malheureux qui n'ont rien et qui y font des pommes de terre, leur seule ressource." Seulement ces usurpations de petites superficies sont nombreuses, 1750 lots dénombrés en 1853 à Massat.
On impose donc aux usurpateurs de régler une indemnité assez modique, rarement plus de 100 fr, pour rester propriétaires légitimes de ces terres mais rares sont ceux qui s'en acquittent ! Et les habitants de se réunir pour déterminer comment résister ... et ce, moins de 30 ans après la "Guerre des Demoiselles"!
"Monsieur le Préfet, je suis informé que plusieurs habitants du hameau de Lhiers se seraient réunis audit hameau, chez le sieur Maurette Elie, dans la nuit du 20 Octobre courant au nombre de 150 environ à l'effet de concerter une résistance aux poursuites dirigées contre un certain nombre d'entre eux pour usurpation de biens communaux. Je vous prie de m'adresser un rapport circonstancié sur cet événement au sujet duquel, m'assure-t-on, une instruction judiciaire a été ouverte et qui est de nature à intéresser directement la Sûreté Publique. (Ministère de l'Intérieur le 27 Octobre 1855)
Il semble préférable d'éviter un nouveau soulèvement, l'Administration multipliera les procès verbaux qui n'auront aucun effet et la solution interviendra avec l'émigration massive quelques années plus tard. Ces terres plus que médiocres seront les premières abandonnées quand la pression démographique s'allégera.
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