CHALLENGE 2018
Z comme Z'avez jamais fait d'erreur dans vos recherches ?Les procurations, indices de migrations définitives
En commençant mes recherches en Ariège, il y a deux décennies, j'ai fait comme tous les descendants de migrants : je suis arrivée à la Mairie avec un patronyme sans sobriquet ( Premières recherches). J'ai eu droit à la question récurrente dans la vallée : Laffont comment ? En effet, il y a des Laffont del Par, des Laffont Lagras, des Laffont "tout court", des Loubet Laffont et de Laffont de Sentenac, gros propriétaires, maîtres de forges et sans doute nobles ou passés un siècle plus tôt par la "savonnette à vilain" qui permettait en achetant une charge administrative (très cher) d'acquérir la noblesse de robe... Et des Laffont del Cardaÿre, les Miens, encore faut-il le savoir !
Avec la fréquentation sans modération des Archives, j'ai finalement percé une partie des secrets des sobriquets, qui, à mon sens sont bien pratiques. Mais en abordant la "diaspora", je me suis aperçue que la majorité des migrants "escampaient" (jetaient) leurs sobriquets au premier virage !
Pour suivre les migrants, il faut donc les prendre à la source, chez les Notaires de la vallée qui ne manquent pas, eux, de les indiquer. S'ils partent pour un certain temps (même avec une intention de retour) ou s'ils migrent définitivement, ils ne manquent pas d'établir une procuration pour leurs proches ou amis chez Notaire. Ces actes peuvent donner une gestion temporaire ou une faculté élargie qui inclue la possibilité de vente des biens... Or c'est un indice que je n'ai pas su cibler dès le début car la vente des biens ancestraux implique une migration définitive !!! l
Le migrant n'envisage pas de revenir même à la fin de son activité professionnelle.
Alors, il faut confier à ceux qui sont restés, parfois la femme elle même avant de rejoindre son époux, mais aussi les frères ou les cousins se voient investis de la charge de liquider les biens dans la vallée. Pour cela, le migrant leur établit une procuration qui nous donne sa profession et son adresse précise. Le relevé systématique de ces procurations permettrait de définir les pôles d'attraction mais aussi les métiers exercés et les quartiers qui abritaient ces migrants intérieurs.
Malheureusement, je n'ai compris que tardivement l'importance de ces procurations et je n'ai pas fait vraiment un relevé systématique... Voilà mon erreur majeure dont je me mords encore les doigts !
En premier lieu, les destinations qui furent temporaires auparavant. L'Aude et l'Hérault où les "colles" partaient pour les vendanges et où, beaucoup de jeunes découvraient le vin et le pain blanc, faisaient figure del dorado avant le phylloxéra. L'ordinaire, même s'il nous semblerait chiche, est nettement supérieur à celui des montagnes, la soupe est souvent agrémentée de viande, autant dire un festin qui change des pommes de terre et des bouillies. Ils attirent aussi les premiers "administratifs" : douaniers et gendarmes, tout comme les Hautes Pyrénées.
Toulouse semble concentrer les "non qualifiés" pour y être portefaix, terrassiers ou marchands des quatre saisons.
Et puis Bordeaux pose un problème, la ville est-elle une destination en soi ou une étape vers des migrations plus lointaines, dans laquelle on fait étape pour y amasser un petit pécule? sans doute les deux.
Paris semble attirer les petits bourgeois ariégeois ou les très démunis prêts à n'importe quel emploi qui puisse les nourrir : porteurs d'eau, portefaix.
Mais partout à Toulouse, Paris ou à l'étranger, on retrouve des "pays" qui facilitent l'hébergement et trouvent du travail, il y a même parfois des sociétés d'entraide...
Pour en revenir aux procurations, ce ne furent que des impressions venant du feuilletage et de la lecture diagonale de centaines d'actes mais un relevé systématique me semble trop chronophage ; j'aurais dû le commencer dès le début...hélas, l'idée ne m'a frappée qu'après quelques dizaines de lectures ...
Depuis mon "illumination", je recueille systématiquement ces procurations, en voici un exemple d'un Laffont (sans sobriquet) demeurant à Marseille en 1874 :
Et un Pagès Guarrigue résidant à Paris en Avril 1875 :
Mais j'ai dû rater les premiers migrants et j'enrage d'avoir commis une telle bourde !!!
Et ça coûte cher : des jours de recherches surtout que souvent les registres ne comportent pas de tables en Couserans...
A comme Annuaires de l'Ariège
Une source que j’ai négligée par ignorance de son contenu ! Pour moi, un annuaire ne contenait que des noms et des adresses avant l’arrivée du téléphone. Grâce à Mme Piquemal, j’en ai découvert le riche contenu et la multitude de renseignements exploitables !
Venait d’arriver dans le fonds des AD le volume de 1914, en plus une année cruciale au début de la Grande Guerre, une aubaine qu’elle me fit partager avant même qu’il soit coté et donc communicable… Les vallées de Massat et d’Oust furent promptement numérisées et le soir, je pus mesurer l’intérêt des renseignements.
Maintenant, comment les exploiter…je n’ai pas pensé une minute à vous infliger un article par année, il fallait faire une synthèse et dégager une problématique.
Voilà les années dont disposent les AD 09 et la cote du périodique :
Que contiennent ces annuaires ?
Chaque village des différentes vallées est présenté ; sa situation géographique, géologique, démographique et surtout économique.
(Aleu , Annuaire 1914)
Ses richesses historiques ne sont pas oubliées.
On trouve aussi des informations religieuses et des portraits de célébrités locales, bref ils sont les ancêtres de nos guides touristiques et de nos « pages jaunes », sans numéro bien sûr ! Mais, indiquant toutes les ressources administratives et les artisans…
C’est donc un reflet de la société et de son dynamisme, certes on trouve un peu pêle-mêle les riches propriétaires, les instituteurs, les receveurs buralistes, les curés et les artisans ou commerçants :
(Annuaire 1914 Massat)
Bon, maintenant il suffit de trier ces informations et de les synthétiser en tableaux, travail parfois fastidieux, mais, après, peut-être allons-nous pouvoir visualiser « en direct » les effets de l’émigration massive de la deuxième moitié du XIX° et du premier quart du XX° siècle sur l’économie locale des vallées. Peut-être, aussi, la sinistre empreinte de la Grande Guerre est-elle visible...
Au fil des années, des métiers auront disparu, d’autres émergeront ; je vais donc étudier ces annuaires par « sondage » par tranches de 10 ans ou environ en fonction des ressources disponibles, le premier annuaire datant de 1834.
Du point de vue strictement généalogique, ces annuaires indiquent les patronymes mais sans sobriquets, quel dommage, c’eût été très intéressant. ! Mais « en croisant » avec l’Etat civil, qui indique les professions, on peut aussi retrouver la profession d’un ascendant mentionné dans l’annuaire.
B comme Boite aux lettres
Trouver une boite aux lettres peut vous sembler dérisoire, de nos jours, il y en a partout ! Pas au XIX° siècle et dans les vallées!
Bon encore un problème lié à la configuration géographique du canton de Massat ! Des hameaux très dispersés et certains très éloignés, ajoutez au tableau des chemins défoncés et de la neige en hiver... Comment poster une lettre ? Où sont établies ces fameuses nouvelles boites ? Si c'est à Massat entre 4 à 10 km pour poster une lettre !!!
ça tombe bien, car lors de « l'invention » des ces boites aux lettres « innovantes » (L'ariégeois du 2-3-1878), donc avant les lois Ferry, très peu de gens étaient capables de lire et encore moins d'écrire ! (cf Un scribe à Massat)
Personne donc, dans la population ne dut percevoir cette avancée technique !! Un journal, il fallait l'acheter, seuls les petits bourgeois de la vallée pouvaient se payer ce luxe et se préoccuper de l'heure à laquelle leurs missives étaient collectées !
On a peine de nos jours à comprendre ou même imaginer que nos ancêtres vivaient sans nouvelles : la plupart d'entre eux ne lisaient pas le journal et ne recevaient aucune nouvelles de celui qui avait migré, parfois pendant des années, parfois plus jamais !
Pour les philatélistes, voici la description du nouveau timbre poste annoncé le 30-3-1872 ; sans doute pour remplacer ceux à l'effigie de l'Empereur déchu ...
En 1872, il semble que 6 "Cérès" aient été émis, voici le plus fréquent (imprimé à 600.000 exemplaires)
C comme Contrebandier
J'adore l'expression « contrebandier de profession », c'était de notoriété publique mais pas pris sur le fait, il ne semble pas avoir été inquiété et il a 68 ans...il a dû déjouer la vigilance de bien des douaniers !
(L'Ariégeois du 7 Juillet 1860)
Là encore, ce qui nous perturbe, c'est qu'ayant disparu le 8 Mars, il ne soit retrouvé qu'au mois de Juillet suivant. Je sais c'est un contrebandier, on ne peut pas demander à la Maréchaussée de le chercher mais il n'est certainement pas le seul à pratiquer ce « métier » dans la vallée et d'autres doivent connaître ses parcours clandestins
D'autres « vagueux » risquent de subir un sort comparable : aucune migration temporaire ou non n'est anodine ; celui qui quitte la vallée risque la « mâle mort » loin des siens.
Les colporteurs plus que les autres : ils ont un « trésor » dans leur boite et cela peut attirer les malfaisants, un mauvais coup est vite arrivé à Kerkabanac !
En Ariège, le contrebandier comme le mendiant n'est un personnage ni redouté ni redoutable, certains bandits, style « bandits d'honneur » comme en Corse, non plus (cf Tragine )
Bref, souvent on craint le Bohémien ou « l'étranger du Nord » bien plus que les marginaux locaux .
Il semble même que le contrebandier ait eu une certaine notoriété ; car, comme le village connaît tous ses déserteurs, il connaît aussi tous ses marginaux. Mais l'omerta ariégeoise est aussi impressionnante que celle de nos compatriotes iliens.
Voici pourquoi on peut être contrebandier « de métier » tout en ayant, sans doute, un lopin de terre et quelques brebis pour « donner le change » !
En plus, ce « métier » est dangereux à cause de la montagne et de ses « sautes d'humeurs » mais aussi parce que les conditions de « travail » aggravent les dangers : quand est-on à peu prés sûr de ne pas rencontrer les douaniers ?
En hiver ou lors des intempéries, alors c'est le temps idéal pour le contrebandier :
Le contrebandier est aussi, comme le berger, un homme au grand cœur qui secourt les étrangers en difficulté dans la montagne ; là, il est chez lui, c'est son domaine presque son jardin, il connaît les abris (souvent des orris), les grottes et les chemins au caillou près...
Durant la Seconde Guerre mondiale, bergers et contrebandiers fournirent la plupart des passeurs.
Alors, l'Ariégeois, le vrai, l'Ancien, ne les dénoncent pas : en cas de difficultés, ce sont eux qui viendront à son secours !
Comme vous le voyez par ces témoignages, le respect des contrebandiers ne date pas d'aujourd'hui et est le fait d'écrivains réputés .
Ne vous leurrez pas les contrebandiers ont des descendants et les orris sont toujours des caches bien pratiques pour les marchandises. Seulement, certains promeneurs ne sont plus du « pays » et ils peuvent être dénoncés par des touristes, comme ce fut le cas il y a quelques semaines :
Mais, bizarrement, on peut aussi être qualifié de contrebandier sans franchir de frontière : il suffit de fabriquer, tranquillement, chez soi, des allumettes !!
(L'Express du Midi 14-11-1903 p 11)
D comme Demande de suppression de sobriquets
Je vous l’avoue, c’est la première fois que je vois cela !
Les migrants l’abandonnent sans demander l’aval de qui que se soit mais une demande officielle entraînant un jugement, ça, c’est nouveau !!
Voici les actes en question :
"Le 8 Février 1934, 16 heures est né au hameau de La Chique, René du sexe masculin de Jean Subra Poundaourou, cultivateur né au Port Ariège, le 22 Novembre 1886 et de Madeleine Loubet Lôtre, cultivatrice, née au Port Ariège, le 26 Septembre 1895, son épouse, domiciliés en cette commune. Dressé le 10 Février 1934, 11 heures sur la déclaration du père qui lecture faite a signé avec nous François Piquemal, Maire du Port"
En mention marginale : Marié à Reims le 6 Avril 1963 avec Annie Henriette Marie Poulet Foix le 20 Avril 1963."
Apparemment, Sutra René demande la suppression des sobriquets de ses parents.
Pourquoi ? Ces sobriquets n’ont rien d’infamant et ne prêtent pas à de mauvaises plaisanteries… Bien d’autres migrants les ont ou conservés ou abandonnés sans faire intervenir les autorités.
Il est des sobriquets bien plus durs à porter comme Pissou, par exemple, mais tous savent que Pissou n’est qu’un nom de hameau proche du Foulgarol dans la commune de Boussenac. Pour tout dire, les Massadels semblent attachés à leurs sobriquets qu’ils soient issus d’un nom de hameau ou d’un métier ; certains les exportent au Nouveau Monde (Challenge 2015 V comme vive les mentions marginales
" Rectifié par décision n° 3082 cg de Monsieur le Procureur de la République de Foix en date du 23 Décembre 1966 enc e sens que les surnoms Poundaourou et Lotres doivent être supprimés après les noms de Sutra et Loubet
A Foix le 3 Janvier 1967
RC n° 44 190
Fait le 9/4/90"
Problème, c’est que le jugement date de Décembre 1966 ! Et il n’est donc pas communicable ! A quelle date la requête a-t-elle formulée ? Nulle indication ne peut nous orienter !
Rien d’autre à attendre qu’un avis favorable à une demande de dérogation auprès de Madame la directrice des AD… Rassurez-vous, je ne lâche pas l'affaire... J'aimerais tellement connaître les motivations des demandeurs !
Je vous rassure, les sobriquets incriminés ont perduré dans la vallée, les autres branches les ayant conservés (pas celle de René évidemment) !
Ils sont tellement poétiques et exotiques ces additifs de patronyme et je suis, je l’avoue, tellement fière du mien ! Del Cardaÿre, je descends d’un cardeur de laine, même si mon ancêtre le plus ancien Raimond était, lui, tisserand, son frère cadet François était cardeur ; je n'ai pas trouvé la profession de Pey Jean, l'autre frère. Leur père, sans doute prénommé Jacques était sans doute cardeur sans preuve écrite faute de BMS.
C’est aussi un indice pour « habiller ses ancêtres » à ne pas négliger : cardeur, tisserand donc plutôt des éleveurs que des agriculteurs. Ils prennent d’ailleurs souvent des bêtes « en gazaille ». Ce qui ne les empêchent pas d’avoir jardin et terres labourables pour le quotidien.