CHALLENGE 2019
A comme Arpenteur
Nous l'appelons désormais géomètre, et son rôle est le même que dans l 'ancien temps sauf qu'il dispose de matériel sophistiqué pour accomplir sa tâche ; reste une des ses tâches qui n'a pas varié, celle de la négociation ; pas une des moindres en Ariège !!!
Il intervient pour délimiter la propriété de chacun lors des partages (assez rares), des litiges de voisinage, droits de passage (beaucoup plus fréquents) etc... et il est sensé résoudre les querelles !
Un métier difficile en Couserans, où le moindre lopin de terre est défendu et contesté et peut induire des fâcheries ou pire des violences entre les antagonistes, nombre d'actes notariés en témoignent
Au vu des litiges avec les nobles et au vu du morcellement invraisemblable des propriétés paysannes, sa tâche devait être bien compliquée voire risquée !
Mais il a un savoir qui surpasse celui du lettré : l'arpentage !! La mesure sur le sol de la rectitude de la propriété et il peut détecter les fraudeurs ayant déplacé les bornes, gratté un petit sillon chez le voisin...
En général, tous s'inclinent devant cette science inconnue.
Mais d'où tient-il son autorité ? Comment devient-on arpenteur sous l'Ancien Régime ?
Certes, on prête serment (c'est ce qu'on appelle « un métier juré » et cela implique des droits mais surtout des devoirs et des responsabilités) mais même involontairement, on peut léser l'un ou l'autre par manque de capacités ou à cause d'outils rudimentaires :
juste la chaîne d'arpenteur!
L'art de l'arpentage fait l'objet d'un enseignement à l'école primaire, alliée à la géométrie et au théorème de Pythagore mais enseigné par le concret comme évaluer la surface de la cour de récréation.(réaffirmé par les instructions de 1881)
Parfois, l'arpenteur accompagne l'inspecteur primaire dans ses visites des écoles
(L'Ariégeois du 1° Juin 1847)
On devine, en filigrane qu'il a pu vanter la profession d'arpenteur, grâce à la présence de l'expert ! "places lucratives"
Ma Marraine, ma grand-tante et ma grand-mère, toutes institutrices voire directrices d'écoles, s'ingéniaient à inventer des exercices pratiques destinés à faire acquérir les notions abstraites des mathématiques ou de la biologie à leurs élèves.
J'en ai profité parfois quand j'allais chez Marraine : pour la « leçon de choses » au lieu d'amener une pomme ou pigne de pin en classe, on allait en forêt !!! On ramassait tout ce qui nous intriguait : cailloux, plantes, bourgeons, champignons, on s'attardait sur des empreintes d'animaux, parfois même des fientes... On ramenait notre collecte en classe et là, la leçon était bien reçue et mémorisée ! Elle connaissait tout, Marraine !!!
Elle employait aussi la fameuse chaîne...C'est dans son école que je l'ai découverte, en ville, où je vivais on l'appelait décamètre
mais Marraine savait aussi faire « filer » le fromage des nouilles jusqu'à l'extérieur de la maison d'école. Beaucoup d'enfants n'avaient presque rien à manger le midi et la Maîtresse, Directrice devenait cantinière : des nouilles au fromage ou des patates ; certes pas un festin mais ça « remplit » son marmot. Bien nourris, elle avait toujours les premiers de canton au certif car en mangeant ou en allant en forêt, on révisait les conjugaisons ou les tables de multiplication sous forme de jeu!
Une « hussarde » de la République et un génie de la pédagogie...
C comme cabaretiers et aubergistes
Quand on visite les vallées de nos jours, on a peine à croire qu'autant d'auberges ou cabarets aient pu exister ! Hasardons une explication
Le paysan rentre du travail, il est fatigué et pas trop pressé de retrouver la femme et les pitchouns ; en plus une chopine lui ferait plaisir (il sait que l'oustal n'est pas riche en boissons alcoolisées, à part l'eau de vie) Il s'arrête donc au cabaret avant de regagner l'oustal, c'est un lieu de sociabilité et d'échange comme le lavoir pour les femmes.
Les Dimanches et jours de fête, pour les cabaretiers, c'est salle pleine. Donc bon an mal an, ils arrivent à survivre d'autant qu'ils doivent avoir un lopin de terre et quelques bêtes
Mais qui dort à l'auberge et y mange ? C'est encore une idée reçue à rayer de nos convictions ; nos ancêtres n'étaient pas des sédentaires, ils se déplaçaient beaucoup plus qu'on ne l'imagine : pour les foires et les marchés mais aussi pour leur travail : rouliers, muletiers. Il est possible qu'ils dorment dans une grange mais ils vont manger et boire à l'auberge
Certes elle est « rustique » L'Ariégeois reproduit une description d'un touriste anonyme publiée dans un journal rival : le ton manifestement polémique en atteste d'emblée
En tout cas, voici une description détaillée de l'auberge du Rieuprégon commune de Boussenac, ce touriste s'il semble ravi des mets servis paraît quelque peu étonné par le décor :
Mais ce qui frappe le plus, c'est le nombre de ces établissements dans une petite vallée sans eaux thermales réputées ni sites touristiques majeurs.
Je vous les donne par commune d'après l'Annuaire de l'Ariège de 1914, alors que la population avait déjà diminué :
Massat : 3058 habitants et 9 auberges, 6 cafés et 4 hôtels
Biert : 2101 habitants, 7 auberges et 3 cafés
Aleu 790 habitants et 7 auberges
Boussenac : 2064 habitants, 2 auberges , celle du Rieuprégon semble avoir disparu.
Soulan : 1547 habitants, 8 auberges
Le Port : 2011 habitants, 4 auberges
Le nombre d'établissements déclarés auberges 36 , cafés 9 ou hôtels 4 me sidère !
D comme Douanier
S'ils sont « du pays » ils peuvent être redoutables ! En effet, ils connaissent les sentiers aussi bien que les contrebandiers : « gafets » c'est à dire tout jeunes, ils gardaient les troupeaux aux estives ensemble !! Ils connaissent les esclops à l'envers (voir E Challenge 2015) !
Mais peut-on arrêter un cousin, un voisin, alors que la contrebande, dans le pays, n'est pas considérée comme une délinquance mais comme une activité normale descendante des accords « immémoriaux » entre les vallées ariégeoises et espagnoles.
Si bien que des dizaines de mules et mulets peuvent partir clandestinement en Espagne sans que personne dans les villages et hameaux traversés n'entende le bruit des sabots...Ils n'entendent pas non plus le bruit des esclops de ceux qui transportent à dos la laine, l'huile d'olive, les allumettes : c'est l'omerta ariégeoise !
Si le douanier n'est pas « du pays », jamais il ne réussira à mettre la main sur un contrebandier ; alors le commerce illégal prospère et arrondit le maigre pécule des habitants,Il faut une sacrée poisse...ou une délation pour se faire prendre !
En plus, il connait tous les orris des estives, qui en cas de problème peuvent abriter les hommes ou les marchandises qui seront récupérées plus tard
Caches utilisées encore de nos jours....
Un Laffont del Cardaÿre fut douanier en 1845 à Gavarnie Hautes Pyrénées, on retrouve sa trace grâce à une procuration qu'il établit pour son frère
" a comparu Gabriel Laffont del Cardaÿre, préposé des douanes à la résidence de Gavarnie , département des Hautes Pyrénées et originaire du quartier des Eychards, commune de Boussenac, lequel, par les présentes a volontairement fait et constitué pour son mandataire général et spécial, Guilhaume Laffont del Cardaÿre, son frère, cultivateur, habitant du dit quartier des Eychards, commune de Boussenac ..."
Par cet acte, il aide son frère, resté aux Eychards à prendre des bêtes en gazaille, il lui fait une avance en numéraire de 1896 fr 50 centimes et participera bien sûr aux bénéfices si le bail à cheptel est un succès.
E comme Ecclésiastique
Autrement dit, en patois, "le Ritou". Le Recteur dans d’autres régions du Nord de la France, c’est le curé
« Quin anats, Moussù l’ritou ? Comment allez-vous Mr le Curé ? » (dictionnaire du parler Biertois / Roger Toulze tome 3 p.353)
Il est réputé riche car on lui paie les messes et personne ne sait combien l’Evêché le rémunère ; mais en général, dans les petits villages de montagne, il vit comme les paysans, pas pire, peut-être un peu mieux.
Sous l’Ancien Régime, il prend la part congrue de la dîme, les chanoines s’appropriant le meilleur de la « charité » obligatoire des fidèles. Le vicaire est encore plus mal servi ! Un certain nombre des ces prêtres ont vraiment la vocation, tant mieux car dans les vallées du Couserans, ils n’engraissent pas ! Une vallée pauvre nourrit mal son curé et des chemins défoncés ne facilitent pas la tâche pour apporter le « Saint Viatique » aux mourants. Le curé normalement se doit par tous les temps d’apporter le secours de la religion à ses paroissiens et ce n’est pas une synécure même avec une mule !
Les chanoines sont mieux lotis par l’Evêché du Couserans mais l’un d’entre eux doit chaque année assurer le service de l’église de Biert et les volontaires ne semblent pas se bousculer !!
Dans quel état est le presbytère ? Lui fournira-t-on suffisamment de bois de chauffage ? De plus le nombre des messes rémunératrices est moindre qu’à Massat (peu de notables), l’immense paroisse qui couvre la vallée sous l’Ancien Régime.
Et pourtant il faut éviter la « mâle mort » à tout prix, celle qui vous prend par accident ou sans le secours des sacrements qui vous garantissent l’entrée au Paradis (ou au moins le Purgatoire).
Mourir sans sacrement, c’est le pire qui puisse arriver pour le vieillard, l’accidenté, le nouveau-né ou la femme en gésine, ces âmes peuvent être condamnées à errer ! C’est une source d’angoisse pour la communauté du village ou du hameau mais aussi pour le Ritou
Certes il bénit, inhume en terre consacrée dans le cimetière mais dans la croyance populaire le défunt risque de rester et …d’importuner les vivants…
Le Ritou a un pouvoir que personne d’autre ne détient, il sait tout de ses ouailles grâce à la confession… soumise au secret, certes, mais qui lui permet de faire pression sur les paroissiens riches ou pauvres.
Il peut aussi refuser d’inhumer en terre chrétienne les suicidés, les pêcheurs, les hérétiques (cf Abjurer) et même les enfançons morts sans ondoiement ou baptême. A Massat, comme dans tous les cimetières de France, un carré est réservé à ces réprouvés par l’église. Ils étaient parfois inhumés de l’autre côté du mur ceinturant le cimetière.
Le Livre de la Fabrique de l'église de Massat nous indique les rémunérations du curé et des vicaires au moment de la séparation de l'"glise et de l'Etat :
"Le conseil devant continuer ses fonctions jusqu'à l'établissement d'une fondation qui le remplacera, le président a fait observer que le clergé étant privé de son traitement en tout ou en partie à dater du 1° Janvier 1906, il est du devoir de la fabrique pour assurer l'exercice du culte de reconstituer à cette même date le traitement tel qu'il était auparavant au taux de 1200 fr pour le curé et 700 fr pour chacun des vicaires par an. Au cas où une pension ou allocation serait attribuée par l'Etat au curé ou aux vicaires, la fabrique ou l'association n'aurait à ajouter la somme nécessaire pour compléter le traitement de 1200 fr pour le curé et 700 fr pour chacun des vicaires..."
Pour le généalogiste, il y a aussi le « bon » ou le « mauvais » curé ! Je m’explique le « bon » écrit bien, sait fabriquer une encre lisible et prend sa tâche « administrative » au sérieux, n’oubliant aucun patronyme ou prénom, aucune filiation dans les mariages etc … Le « mauvais » dispose d’une encre allongée d’eau pour s’éviter la peine d’en refaire, écrit à la va-vite, mal et oublie des prénoms, des dates voire pire Et malheureusement, les curés de la vallée de Massat ne sont pas des scribes scrupuleux sauf me semble-t-il en cas d’actes concernant des notables Tiens, pourquoi ? quelques livres ou sols en plus ?
F comme Forces de l'ordre
Que ce soit la gendarmerie ou l'armée, elles ne sont jamais bien accueillies ! Elles sont souvent requises pour donner la chasse aux réfractaires et déserteurs! Inutile de vous préciser que la fierté et l'esprit non pas belliqueux mais, comme on dit « la tête prêt du bonnet », ou de la liadoure des Massadels se déchaîne, car tout le voisinage se mobilise pour résister à cette invasion et les femmes ne sont pas en reste ! Le 7 Mai 1836, les gendarmes font face à une rébellion dans un hameau de Massat, Voici les faits relatés dans le rapport de gendarmerie :
« ...et de les attendre à un cart dheures du village sur la route afin d'arrêter des déserteurs qui peut aitre viendrait de la forêt chargé de bois ou qui peutaitre ce trouveraient dans le village à l'effet de les arrêter ; Galy Canivet et ? Étant par devant au hameau des Bordes village d'Echarbouls commune de Massat étant arrivés devant le domicile du nommé Galy Jean Balloué dit Servat cultivateur habitant du même lieu à notre approche nous avons aperçut le nommé Galy Bernard fils dudit Galy déserteur du 18° Régiment d'infanterie légère qui sortait d'une grange attenante à la dite maison à notre aperçut il prit la fuite nous nous sommes mis à sa poursuite étant parvenu à son arrestation avons dirigé nos pas vers l'autre qui était embusqué étant arrivés au lieu appelé la Rive del Séré c'est présenté à nous sur le haut d'un précipice à une distance d'environ 25 mètres : un attroupement d'environ 100 personnes de tout sexe hommes femmes et enfants dont une partie se tenaient cachés derrière une muraille et les autres embusqués derrière des roches, au même instant au même instant c'est détaché de cette groupe deux individus qui nous ont crié à haute voix de lâcher le dit déserteur ou que notre vie en dépandait malgré ses semonces nous continuons notre route dans le même moment nous avons été assaillis par une grêle de pierres... »
« que cette bande jetait sur nous ledit Galy brigadier reçut un coup de pierre sur la hanche droite et comme il poussait le déserteur pour le faire avancer disant aux deux gendarmes avançons sortons du péril, cette grêle de pierres continuant toujours sur nous et les cris continuant lachez le déserteur autrement vous êtes perdus, à l'instant le déserteur fut atteint d'un coup de pierre sur la tête jetée par un assaillant qui le ? à nos pieds et de suite fut couvert de sang sans rien dire, le croyant mort sur le coup nous ayant été impossible de le traîner et même de faire usage de nos armes avons été forcés à prendre la fuite vers l'autre détachement, parmi cet attroupement nous avons reconnu
« les nommés Massat François Cagnoutet fis de Pierre, jeune soldat de la classe 1834, Piquemal Marie Lagorre épouse dudit Massat Cagnoutet, Loubet Marie Carrabas épouse dudit Galy Jean Balloué, Piquemal Raymond , Massat Jean del gueillé, fils à feu Pey et Bonneilh
« Gabriele Chiquet épouse de Bonneil Pierre dit l'Auraillé, tous les individus dénommés ci dessus cultivateurs habitants du village d'Echarbouls commune de Massat. Chemin faisant nous avons rencontré l'autre détachement qui venait à notre secours qui avait aperçu l'attroupement et craignait que quelque malheur ne nous fut arrivé, après que nous ayons été réunis et nous ayant fait le récit de cet événement nous sommes de suite revenus à l'endroit où la scène avait eu lieu et nous n'avons trouvé personne, l'attroupement avait disparu, le déserteur blessé avait été enlevé, ayant fait divers perquisitions dans le dit village il nous a été impossible de découvrir le lieu où ledit blessé avait été déposé. Nous nous sommes retirés à notre résidence... »
Jets de pierre, coups de bâton ferré ; la mêlée devient générale mais heureusement la maréchaussée ne fait pas usage des fusils !!!
Autre épisode très tendu, la guerre des Demoiselles (cf D comme Demoiselles Challenge2015) Là encore beaucoup de retenue des deux côtés car cette jacquerie aurait pu se terminer par des pertes humaines bien plus conséquentes : une perte de chaque côté dans la vallée, je sais, c'est deux de trop mais vu l'ampleur du problème, le bilan aurait pu être plus grave... Le Massadel n'est pas un assassin, une bonne rossée à coups de bâton ferré lui suffit pour se faire respecter et il garde toujours cette faculté à disparaître promptement, une tactique de guérilla bien connue dans les Jacqueries :
La résistance aux collecteurs d'impôts est aussi générale dans les vallées, mais là encore, ces "gêneurs" ne risquent qu'une rossée ou un bon bain dans le torrent. Certes, pour eux, ce n'est pas agréable et peut être douloureux mais il n'y a pas péril de mort. Pourtant, certains collecteurs seront accompagnés par les forces de l'ordre pour accomplir leur triste tâche :
(L'Ariégeois du 21-10-1848)
Une année qui n'est pas anodine, c'est après la chute de de la Monarchie de Juillet et l'instauration de l'éphémère II° République