CHALLENGE 2017
A comme Arac le coléreux
C'est habituellement un cours d'eau paisible qui accueille gentiment ses voisins comme le Salat au pont de Kerkabanac
Mais comme toutes les rivières pyrénéennes, il est « caractériel » et peut se déchaîner au Printemps, à la fonte des neiges, soutenus par ses compagnons des hauts sommets ou encore en Automne si les pluies ont été abondantes.
Souvenez-vous en 2014, le 1° Décembre :
De même, l'Arac et ses affluents sortent de leurs lits à la suite d'intempéries. En 1875 il s'en donne même à cœur joie en Juin et Novembre !
Nous en trouvons les récits dans la presse locale le 3 Juillet :
On évalue ensuite les pertes occasionnées :
Toujours à la suite de pluies torrentielles, l'Arac refait parler de lui en Novembre de la même année !
« L'Ariégeois » du 6 Novembre 1875 :
L'inondation a du avoir lieu le 1° du mois (ou le 30 Octobre), plaignons le facteur qui a dû marcher dans des champs détrempés !
Biert aussi est à plaindre, le village est construit au bord de l'Arac :
On voit clairement sur cette carte postale, combien ce cours d'eau peut paraître « bonhomme » en basses eaux mais son lit est fait de galets qui peuvent causer de graves dommages lors des crues ! Que l'église ait été inondée en 1875, rien d'étonnant, elle est une des plus proches voisines du cours d'eau (1 m 50 représente plus de la moitié de la hauteur de la porte latérale).
Le journal, habitué à souligner tous les manquements de l'Administration ne manque pas de noter que rien n'a été fait entre Juin et Novembre mais contre les forces naturelles rien ne résiste (le paysage actuel de Biert n'a guère changé et si l'Arac venait à se fâcher de nouveau...)
Même le pont en pierre de Massat a eu maille à partir avec la rivière :
Et pourtant, il est massif ce pont mais faute de le détruire, la rivière peut le contourner ! Faut-il défigurer tout le paysage en construisant des digues ?
La vallée est donc isolée de Saint -Girons, pendant plusieurs jours, cette situation n'aurait pas ému les populations quelques décennies plus tôt mais nous sommes dans le dernier tiers du XIX° siècle et la civilisation de la communication commence. Il faut que la vallée soit reliée à l'extérieur, reste la route du col de Port (ce qui signifie que le col de la Crouzette et le col d'Agnès, le Saraillé aussi sans doute doivent être encore dans un piètre état!) :
Un hommage aux cantonniers dont le travail ne devait pas être simple dans ces montagnes et dont mon trisaïeul faisait partie.
Le 10 Novembre le journal chiffre les dégâts :
Ce n'est pas, bien sûr, la première crise de ce cours d'eau, il avait déjà détruit des ponts en bois, sans doute et fait même des victimes (mâle mort au XVIII° siècle).
Le 11 Avril 1855, la même route, au même endroit, avait été coupée pendant 2 jours :
Sous ses airs champêtres et calmes, l'Arac est donc toujours à craindre...
B comme Berger aux estives
Nous avons vu l'habitat et l'emploi du temps des pâtres (traites, fabrication des fromages et du beurre, salé, pour une meilleure conservation : billet "les orris").
Une vie libre mais spartiate, pour dormir une couche de fougère, le manteau de bure comme couverture :
(Musée du Palais épiscopal de Saint-Lizier)
et la possibilité d'allumer un feu car les nuits sont froides au début et en fin d'estive. La demeure est rustique mais garantit des intempéries toujours violentes en altitude et c'est bien là que se situe le principal danger !
L'orage et la foudre qui l'accompagne ! S'il survient subitement, les bêtes s'affolent et se débandent, les meilleurs chiens ne peuvent pas être partout …
Pour sauver son troupeau, le berger affronte les éléments, parfois au péril de sa vie En 1858, deux bergers ont trouvé la mort dans ces circonstances, le premier dès le mois de Juin :
(L'Ariégeois du 25-61858)
Le second au mois d'Août :
(L'Ariégeois du 28-8-1858)
Les brebis affolées par l'orage peuvent aussi, dans une fuite éperdue, tomber dans un précipice, une grotte ou un aven...
Pourquoi risquer sa vie pour une ou deux bêtes, me direz-vous !
Déjà, parce que c'est l'honneur du berger qui est en cause ; il ne doit perdre aucune de ses bêtes que ce soit à cause des prédateurs, des intempéries, de maladie ou de mises bas problématiques.
Ensuite parce qu'il a la garde du patrimoine familial et que la perte d'une seule bête est une catastrophe (il n'y a pas, au XIX° siècle, d'indemnités versées par l'Etat encore moins par des assurances que tous ignorent faute d'avoir les moyens de payer les primes).
Enfin, parce que certaines bêtes sont prises en « gasaille », c'est une forme de gardiennage : les petits propriétaires de troupeaux établissent un contrat avec d'autres détenteurs d'animaux, souvent de la plaine, pour les emmener aux estives avec les leurs. Mais si les bénéfices (agneaux) sont partagés à mi fruit, les pertes incombent au gardien...
Les bergers sont jeunes, en général, mais ils sont très conscients de la charge qui leur incombe et perdre ne serait-ce qu'une bête est vécu comme une catastrophe et un déshonneur :
(L'Ariègeois du 6 Juillet 1847)
La responsabilité des bergers est immense au regard de leur jeune âge, ils affrontent tous les dangers avec courage mais quand il s'agit d'affronter le père pour lui avouer une "faute"... certains préfèrent s'enfuir et mener une vie errante. Dans les journaux suivants, aucune nouvelle de Pey, espérons qu'il est revenu « fortune faite » à force de travail !
Si l'on se souvient de l'histoire de Martin Guerre, la même impossibilité d'avouer la faute au père lui fait quitter l'oustal et s'enrôler !
C comme Christ
Jésus aimait beaucoup les Pyrénées
Il s'y baladait, bien avant que nos ancêtres ne soient nés, souvent en compagnie de Saint Pierre. Il allait d'une vallée à l'autre en flânant et en contemplant la splendeur de la Création de son Père.
Au cours d'une halte, il façonna un bonhomme en terre et lui donna vie par son souffle. Adam, c'était lui sans aucun doute, prit vie dans la vallée de Massat ! Je m'en doutais, bien sûr (et vous aussi...) mais, dès qu'il prit conscience, Adam le Massadel , se rendit compte que sa vallée était pauvre et la terre ingrate, aussitôt il demanda l'aumône à Jésus et à Saint Pierre : « Mes bous Moussus, se bous plait, balhatz me un sol ! ». Dans leur grande bonté, ils la lui accordèrent et depuis les Massadels sont fiers, pauvres et mendiants.
Cette légende apparaît en 1891 dans l'Almanach patoues de l'Ariéjo, Ruffié la cite en patois page 21 de sa monographie sur Massat, enfin elle est reprise par Olivier de Marliave (Trésor de la Mythologie pyrénéenne p, 25)
Alors si certains « généalogistes » amateurs vous assènent sans sourciller qu'ils descendent de Charlemagne ou de Ramsès II, et bien mon ascendance maternelle est bien plus ancienne puisque je descends directement d'Adam le Massadel !!
Ne vous laissez pas convaincre par d'autres vallées qui revendiquent, elles aussi, l'honneur de la visite du Sauveur. Il y vint sans doute mais la légende ne dit pas où il créa Eve... espérons que ce ne soit pas dans une vallée envers laquelle les Massadels éprouvent des inimitiés !
Par ailleurs, soyez vigilants si vous passez vos vacances dans les Pyrénées car Jésus n'a pas perdu son amour pour ces vallées et s'y promène encore. Ne vous avisez pas de l'éconduire s'il frappe à votre porte sous l'aspect d'un pauvre hère ou d'un mendiant ... Se mettre à dos le Fils est toujours dangereux !
C'est la mésaventure qui arriva à un berger : au mépris de toutes les lois de l'hospitalité qui prévalent en montagne et sur les estives, il éconduit le vagueux dépenaillé... Mal lui en prit car ce vieillard n'était autre que Jésus lui-même !
De nombreuses légendes évoquent ce manquement à la charité et suivant les versions, les châtiments peuvent être un orage, un éboulement de terrain ou les deux conjugués qui provoquent la mort des fautifs ; à moins qu'ils ne soient pétrifiés, à cause de leur dureté de cœur. (Olivier de Marliave id p.27) En tous cas, l'issue est tragique.
Seulement voilà, le Diable, lui aussi, patrouille dans les vallées et il est retors !! Et lui, il est impératif de le chasser...Un peu d'eau bénite peut faire l'affaire, encore faut-il en avoir à porter de main si on est loin de l'oustal, sinon un grand signe de croix et une antique prière en patois « Lo Payre Sant », par exemple, peuvent le faire fuir.
D comme Dix ans de calamités dans la vallée...
Au milieu du XIX° siècle, de 1845 à 1855, une série d'épreuves s'abat sur la vallée de Massat et ses voisines. Surpeuplées, ayant déjà défriché les terres les plus ingrates pour les mettre en culture (quitte à les usurper), les vallées survivent difficilement et redoutent la mauvaise récolte qui les met au bord de la disette. L'alimentation, basée sur les bouillies de céréales, le lait et surtout les pommes de terre, est déjà pauvre en protèïnes et en lipides, si un de ces éléments de base manque, la faim arrive !
Or, l'année 1845-1846 est marquée par des intempéries : après une période de sécheresse, des « pluies continuelles du Printemps, de la fin Juin à la fin Août, pluies et brouillard recommencent » ; ce sont des conditions idéales pour que se développe le phytophtora, un champignon minuscule qui s'attaque aux feuilles puis fait pourrir les tubercules des pommes de terre. Plus connu, dans le Sud, sous le nom de mildiou, la maladie s'abat aussi sur les vignes et les plantes potagères (Roger Toulze cite le terme « broumat » dans son dictionnaire du parler de Biert).
Dès le 29 Octobre 1845, les Maires de Saint-Girons, Massat et Oust signalent au sous-préfet les récoltes calamiteuses et le risque de disette.
Le 22 Décembre 1845, le Préfet écrit au Ministre de l'Intérieur « plus de 25.000 personnes touchent au moment de n'avoir plus d'aliments...Je vous supplie de venir au secours de ce département. On ne vient pas à bout du désespoir avec des bayonettes, il faut d'autres moyens. »
Car le spectre des Demoiselles ressurgit et on craint des émeutes dues à la faim ! D'autant que les récoltes de céréales ne sont pas, non plus, des meilleures.
En Février 1846, il semble que rien n'ait été fait, le Maire d'Aulus écrit au Sous-Préfet le 4, celui de Bedeille le 10 dit « nous mourrons de faim » !
Comment lutter ? La mendicité augmente, les vols de récolte aussi et surtout on quitte les vallées pour chercher sa pitance ailleurs!
Les journaux, comme L'Ariégeois, ne publient les statistiques du déficit des récoltes de pommes de terre que le 22 Juin 1847 :
Sur une population affaiblie, les maladies font des ravages comme la petite vérole [la variole] à Oust en 1846 :
L'Ariège n'est pas la seule région touchée, le mildiou attaque d'autres régions et aussi l'Irlande entre 1845 et 1852. La famine qui s'ensuit provoque l'émigration massive des Irlandais, dont fait partie la famille Kennedy, vers les Etats-Unis, mais combien d'autres miséreux sont partis "à fond de cale"!
Un roman poignant retrace ces années calamiteuses en Irlande :
Même s'il ne concerne pas nos ancêtres français, il est riche d'enseignements sur les causes et le développement du processus "famine"
De telles catastrophes ne se soignent pas d'une année sur l'autre ; en agriculture, la chute peut être brutale mais le redressement est toujours lent, la nature suit son rythme. Dans la vallée, l'équilibre restera précaire pendant plusieurs années.
Les jeunes qui ont dû migrer lors de la disette pour soulager l'oustal, ont découvert des "Pays de Cocagne" : on y boit du vin, on y mange de la soupe grasse ou du lard plusieurs fois par semaine et le temps y est plus clément ! Alors des idées d'émigration commencent à germer et prendront forme dans les années suivantes surtout chez les cadets. Ainsi s'intensifiera un mouvement migratoire qui avait commencé timidement vers les années 1840.
Je pense que ces 10 années calamiteuses ont fait basculer l'équilibre , certes précaire, des vallées et a provoqué leur dépopulation...
* Les premiers documents sont extraits de "Disette et vie chère en Ariège à la fin de la Monarchie de Juillet (1845-1847)" / Morère Philippe ._ BSA 1922-1925
La suite avec les lettres E et F
E comme Encore des intempéries
Encore des calamités et la misère s'installe, la presse s'en fait l'écho :
(L'Ariégeois du 5 Mai 1846)
Mais la crise est profonde à cause de la surpopulation, une année de disette ne se rattrape pas avec une bonne récolte : il faut aussi payer les impôts
(L'Ariégeois du 22/6/1847)
On quitte les vallées pour chercher, de nouveau, sa pitance ailleurs. La situation est la même à Boussenac ; selon le Maire, dans le seul quartier du Rieuprégon 1/3 et demi des habitants sont partis... ». Une bouche de moins à nourrir et quelques sous à ramener à l'oustal... et du pain et du vin, tous les jours, dans ces pays nantis que sont les plaines de l'Aude ou de la Haute Garonne ; un rêve pour le « mountagnol » nourri de bouillies et abreuvé d'eau pure !
La récolte de 1846 est meilleure et donne un bref répit mais l'hiver 1847 est si rigoureux que les loups apparaissent, on entend leurs hurlements même à Foix !
En matière de secours « le gouvernement apporta sa contribution tardive et maigre » en versant surtout des allocations aux institutions charitables, hospices et bureaux de bienfaisance.
Heureusement la récolte de 1847 fut superbe mais le sentiment que l'Ariège était un département délaissé par le pouvoir central, subsista dans les mentalités.
Mais les intempéries se succèdent, avalanches au printemps et même un ouragan au mois d'Août 1848 qui dévaste Massat :
(L'Ariégeois 8-8-1848)
Les intempéries se poursuivent en 1853 des pluies torrentielles s'abattent sur le département :
(L'Ariégeois 11-6-1853)
La neige tombe en abondance dès le début Décembre et les loups apparaissent à nouveau :
Ils sont suivis par un autre fléau : les renards ! En Janvier 1854
Et le printemps 1854 n'est pas meilleur, il neige fin Avril à Massat
Les conditions météorologiques déplorables, les récoltes tardives, les prédateurs ; tout cela rend la vie des populations précaire mais le pire est encore à venir...