aujols-Laffont

Enquête sur le travail en 1848

 

L'éphémère Seconde République (23/4/1848-29-1-1849) a le mérite de nous fournir un texte essentiel sur la situation économique du pays en ce milieu du XIX° siècle. Son objectif est, en effet, d'établir « un recueil de données objectives qui autorisait une meilleure connaissance de la vie sociale et économique des lieux concernés... ».
Elle devait aussi être « une enquête pour améliorer le sort des travailleurs » selon M. Thiers dans « le Constitutionnel » du 13 Mai 1848

 

Seulement à qui confier une telle enquête pour être sûr de sa véracité et à quel échelon territorial doit-elle se situer ? Après maintes discussions, il semble qu'elle ait été confiée à une Commission présidée par le Juge de Paix et donc se soit déroulée au niveau du canton ! Un pur bonheur pour le généalogiste qui pourra ainsi connaître « possibilités d'embauche » de ses ancêtres !
Le décret est voté par l'Assemblée Nationale le 25 Mai 1848, et les questionnaires élaborés parviennent à la Préfecture qui se charge de les faire parvenir aux chefs-lieux de canton ; dont Massat, bien sûr, et la vallée voisine d'Oust. Le tout est accompagné d'une lettre au "Citoyen Préfet" :

 

 Enquête 1848 lettre au citoyen préfet 1 recadrée.PNG

 

Cette enquête se présente donc comme ce que nous appellerions un "audit" national, destiné à améliorer et l'industrialisation et la condition des ouvriers. Elle représente donc un enjeu capital pour les décisions de la jeune République :

 

Enquête 1848 lettre au citoyen préfet 2 objectifs.PNG

 

Voyons ce que cette enquête cherche à déterminer : tout d'abord, les implantations industrielles, leur nombre, leur importance, leur rendement et les conditions de travail des ouvriers (horaires, travail de nuit, âge d'embauche ; bref ce que nous appelons aujourd'hui la « pénibilité »), leurs conditions de vie (habitat, nourriture et vêtement), les possibilités de formation ou d'apprentissage, les contrats d'embauche et de rémunération. Sont envisagées ensuite les entraves au développement industriel et leur possibilité d'amélioration  ; et là, le constat est dramatique pour Massat !
Un autre volet est consacré aux organisations de secours mutuels, prévoyance ; les industries qui peuvent nuire à la santé des ouvriers.


Les dernières questions ont trait aux « intérêts agricoles », comment améliorer la situation et freiner « l'émigration vers les villes »

Finalement, un questionnaire abordant les aspects les plus importants du monde du travail et qui est riche en résultats au plus proche de la réalité : le canton. Précipitez-vous sur la série M (10 M4 en Ariège) la même enquête a dû y être diligentée.


Physiquement, elle se présente sous la forme de 2 tableaux (format A3 environ) et comporte 29 questions en tête de colonnes, ce qui laisse un espace réduit pour les réponses qui sont souvent laconiques et rend difficile la lecture en ligne (j'en ai donc effectué une transcription avant la rédaction du billet)

 

Enquête 1848 instruction et morale  St Girons.PNG

Mon problème est maintenant de vous exposer les résultats du canton de Massat, sans vous endormir ; la littérature administrative a, sur moi, un effet soporifique ! Comment animer ces réponses pour que vous puissiez lire le billet jusqu'au bout ???


Question industries, Massat n'a pas de mines ou de carrières d'importance comme ses voisines ; elle n'a que la pierre d'Aleu ( O du challenge 2017) et des

carderies à laine "qui ne marchent que 2 ou 3 jours par semaine et alternativement sous la direction d'un seul ouvrier".

 

Enquête 1848 pierre d'Aleu.PNG

Par conséquent "le pays surabonde d'ouvriers" et "les ressources du canton sont si peu de choses sous le rapport de l'industrie" que la majorité des hommes et femmes se consacrent "au travail des champs".


Le faible développement de l'industrie a pour cause principale : "le défaut ou le mauvais état des routes... Faute de moyens de communication, nos rapports avec le chef-lieu du département sont presque nuls"! Les foires aux bestiaux en pâtissent aussi : "les Espagnols et les bouchers qui fréquentaient nos foires les ont abandonnées faute de pouvoir emmener d'une manière commode les bestiaux achetés..."

 

Enquête 1848 routes Massat 1 + petit.png

 

A la question 18 qui envisage les "moyens d'augmenter la production et d'assurer le développement", la réponse incrimine de nouveau le manque de moyens de communication, tant que le canton de Massat restera isolé, le développement sera lent voir inexistant... Mais, pour atteindre la vallée, il faut franchir des cols ou longer l'Arac (voir A comme Arac), les travaux sont difficiles et onéreux :
"L'achèvement de la route départementale, dite du col de Port, est l'unique moyen de développer un peu l'industrie dans notre canton...les voitures ne peuvent passer sur cette route dans l'état d'imperfection où elle se trouve actuellement."


Même dans la seule partie où existe une activité industrielle, Aleu, les routes posent problème : "Le chemin d'Aleu à Soulan... il est inoui que les charettes ne puissent pas aller prendre les pierres aux carrières mêmes alors que la chose est très possible et qu'il s'agit d'une exploitation considérable. Il est à remarquer surtout que la distance d'Aleu au Castet est très courte."

Comme le canton "offre peu de ressources", "ce n'est qu'en s'expatriant que l'ouvrier peut acquérir les connaissances nécessaires à son état...",

 mais la situation de l'apprenti est compliquée pour des familles pauvres ; c'est le canton de Saint-Girons qui évoque ce problème :

 

Enquête 1848 apprentissage St Girons.PNG

 

"les conditions de l'apprentissage sont ou de 3 années sans bénéfice pour l'apprenti ou 18 mois en remettant une certaine somme qui varie de 100 à 200 francs ?"

 

La situation de l'agriculture n'est pas meilleure à cause du "morcellement de la propriété" et de "l'inconstance des saisons si fréquente dans les pays de montagne". Il faut dire que l'enquête est effectuée au moment de la crise de la pomme de terre dont la récolte "manque cette année sinon en totalité, comme a eu lieu en 1845 et 46, mais en très grande partie" (voir D challenge 2017)

 

Pour pallier cette situation pour le moins difficile, on trouve pourtant une solution à mettre en oeuvre : " ouvrir de nombreux ateliers de travaux publics soit sur notre route départementale soit sur les chemins vicinaux". Construire donc ou terminer les routes, permettrait d'employer la main d'oeuvre disponible sur place et lui procurer un revenu pour ... payer ses impôts ! Au passage, on souligne que les impôts "sont exorbitants pour le pays et nullement en rapport avec ses ressources"

Mais alors, comment faisaient les Massadels pour ne pas mourrir de faim ! "Si une partie de la population ne migrait pas pendant la morte saison, il lui serait impossible non seulement de payer ses impôts mais de vivre".

Je suis consciente que cette enquête n'apprend rien à mes fidèles lecteurs, son seul mérite est consigner noir sur blanc, les difficultés économiques de la vallée et surtout d'en informer le pouvoir central.



27/08/2017
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