Contre la conscription !
Eviter la conscription a été une préoccupation majeure dans les vallées durant tout le XIX° siècle et l'imagination de la population pour y résister ou s'en préserver a été sans limite !
Tous les moyens sont bons : falsifier les registres d'Etat civil et les BMS en transformant les garçons en filles (fils devient fille en surchargeant, 2 lettres suffisent), en identifiant le futur conscrit à un frère mort en bas-âge, ce qui est facilité par les prénoms identiques dans une même fratrie (trois Jean dont un est mort, le futur conscrit s'identifie au décédé, le troisième étant plus jeune pas encore en âge de partir), enregistrer des décès fictifs ou inscrire des mariages "blancs" parfois avec des femmes très âgées (il sera veuf bientôt...) et prétendre que le conscrit s'est marié jeune et que l'acte a disparu (nous en verrons un exemple dans le billet prochain). Tout a été fait avec la complicité (gratuite ou non ) des Maires et adjoints et même des curés !
Les petits métiers itinérants, colporteurs ou ouvriers agricoles permettent aussi de mettre une frontière entre le futur conscrit et son pays avant le tirage au sort mais cela suppose de ne pas revenir au pays pendant des années ou de le faire clandestinement.
Et puis, il y a ceux qui envoient un cousin ou un cadet tirer au sort à leur place ; s'il est goitreux, parfait ! il sera réformé ; s'il fait moins d' 1m56, aussi ; s'il n'a plus de dents pour déchirer les cartouches, idem !
Il reste les "optimistes" qui espèrent tirer un "gros" numéro et ceux qui pensent déjà à déserter en sachant qu'ils seront soutenus (voir défendus, bâtons ferrés en main) par tout le village ou le hameau, notables compris parfois.
Tous ces moyens ayant été mis en œuvre sans succès, il reste de l'espoir ! Bastonner les gendarmes venus cueillir l'insoumis ; au hameau, cela peut se révéler dangereux pour les proches et les amis (pour les gendarmes aussi !) ; en forêt, c'est plus anonyme, il y a tant de brigands... qui peuvent occire des gendarmes ! Dernier recours, s'évanouir en cours de route sur le chemin de la caserne et s'enfuir en Espagne, les mountagnols sont de grands marcheurs et peuvent "semer" facilement la maréchaussée (cette méthode de dernière chance a l'avantage de ne pas impliquer la famille). Bien des convois n'arrivent pas "complets" et certains même n'ont plus que la moitié de leurs effectifs de départ...
Mais pourquoi cette hostilité exacerbée ?
Certes, le sentiment de "Patrie" à défendre n'existe pas ou peu, surtout au moment des guerres napoléoniennes, le Massadel est brave mais quand "sa" Patrie est en danger, c'est-à-dire sa vallée, éventuellement sa province (ici le Couserans, pas même l'Ariège, création de Paris) ) mais la France du Nord, qui ne parle pas la même langue l'indiffère !!! En gros, que l'ennemi vienne chez nous et il sera vaincu !
L'Empire a même créé des unités spéciales de "chasseurs de montagne" destinés à défendre la frontière pyrénéenne lors de la guerre avec l'Espagne ainsi les conscrits restaient sur place, parlaient leur langue (beaucoup de gradés se plaignent que les nouvelles recrues ne comprennent pas les ordres) mais c'était ignorer les liens qui lient les vallées entre elles (Val d'Aran surtout) et les désertions, voir les passages à l'ennemi existèrent...
Mais surtout la conscription touche à la structure même de la société ancestrale : le premier soumis au tirage au sort est l'Âïnat ! L'héritier de l'oustal, celui qui, quoiqu'il arrive (et quoiqu'il en pense d'ailleurs...) doit rester et prendre en charge les biens et les Anciens ; il ne peut pas partir ! A la limite, dans les familles où il y a des cadets, on en aurait bien laissé partir un ou deux qui, faute d'argent ne pourront se marier, pas même en "gendre" et resteront dans une condition semi-servile avec leur aîné. Ils pourront aussi devenir colporteurs, oussailhers, portefaix ou même militaires ! en remplacement d'un "riche" qui peut payer la tranquillité de son aïnat .
J'ai découvert récemment le dernier moyen inventé, cette fois par des hommes d'affaires qui semblent bien connaître la mentalité ariégeoise mais pas ses ressources (au moins en Couserans) : une assurance !!!
Elle apparaît dès1838, alors que la loi rendant le remplacement impossible date du 26 Avril 1855 : une anticipation qui pouvait être lucrative ! Autre avantage : la prime n'est pas très élevée et trimestrielle ou annuelle, ce qui évite une grosse somme à payer d'un coup ce qui oblige, parfois, à vendre des terres.
Les publicités sont publiées dans le "Journal de Toulouse" et dans le "Mémorial des Pyrénées" :
Mémorial du 1° Avril 1841
J'avoue que la date m'a fait douter de la véracité de l'annonce : était-ce "un poisson d'Avril" ? Mais plus tard, je trouvai ce placard, dans le même journal de 1838 et la société semble bien réelle :
Le siège de la compagnie se trouvant à Pau semble indiquer que le refus de la conscription n'est pas un phénomène qui se réduit à l'Ariège mais qui atteint toutes les Pyrénées ... qui connaissent le même régime successoral !!
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