Les malades de Saint-Lizier
Il est difficile, pour ces articles, d'adopter un style assez alerte que j'essaie d'avoir ailleurs ; ces personnes hospitalisées risquent de finir leurs jours entre les murs de l'Ancien Evêché car les soins ne sont pas très performants au début du XIX°.
Le plus souvent, on confine les malades pour les empêcher de nuire à leurs semblables, voire même à leur entourage proche. Quelques bains censés calmer, quelques potions apaisantes mais aucun des médicaments que nous connaissons pour endiguer la violence ou calmer les angoisses...
La sous série 1 X nous fournit d'amples renseignements sur les personnes internées mais aussi sur les causes d'aliénation retenues, la classification des affections.
En 1837, l'hôpital compte 106 internés (1X132), répertoriés avec leur numéro de registre matricule, nom et prénom, âge, lieu d'origine, dates (entrées, sortie, évasion ou décès) et la gravité de leurs troubles.
4 sont de Massat, 2 de Soulan et 2 d'Aleu ; 6 d'entre eux sont qualifiés « aliéné, enfermé dans une loge » :
"matricule 386/ Inconnu/44 ans/ 24 Décembre [date d'entrée] insensé, enfermé dans une loge..."
La loge, c'est un confinement supplémentaire, c'est l'isolement que l'on réserve aux malades dangereux ou violents ; le fait que 6 sur 8 des originaires de la vallée soient placés en loge me semble indiquer que l'on tolérait, dans les villages et hameaux, les aliénés, idiots et simplets le plus longtemps possible (qui n'en a pas croisé dans sa province au XX° siècle?). On ne se résolvait à les faire interner qu'en cas de dangerosité constatée.
Par contre, pour les deux autres, leur motif d'hospitalisation semble maigre : à Aleu, une « aliénée non dangereuse » et à Massat, un journalier « sourd muet », certes lui faire comprendre le travail que l'on attend de lui ne doit pas être aisé, mais de là à l'enfermer à l'hôpital … à moins que l' indigence n'en soit la cause, comme dans dans le billet précédent !
En 1835, nous n'avons que des statistiques globales : 24 idiots (13 hommes et 11 femmes) et 67 fous ( 36 hommes et 31 femmes), par contre nous trouvons une énumération des causes de l'aliénation reconnues par les médecins :
« causes physiques : effets de l'âge, idiotisme [13 hommes 11 femmes], irritabilité excessive [11 hommes et 7 femmes !], excès de travail [déjà le burn out!], dénûment, onanisme[ 2 hommes] , maladies de la peau, coups blessures, syphilis, hydrocéphalie, épilepsie convulsions[ 1 homme 5 femmes], fièvre phithitié [??] maladie du cœur(??)[ 1 femme],émanations de substances malfaisantes [???], abus du vin et des liqueurs ; causes morales : amour jalousie, chagrin, événements politiques, ambition, orgueil, religion mal entendue, aliénation simulée... »
Et la dernière colonne recense les causes inconnues...22 pour les hommes et 18 pour les femmes, d'où 40 cas inexpliqués ! On voit bien que la médecine psychiatrique en est à ses premiers balbutiements !
En 1838, le recensement des internés ajoute leur profession, la plupart sont brassiers ou journaliers, les femmes fileuses mais on trouve aussi à Aleu un meunier.
J'ai volontairement évité de citer des noms de malades, bien que le délai de 150 ans soit largement dépassé, car la maladie mentale fait encore peur de nos jours et un ancêtre interné fâche les descendants bien plus qu'un déserteur ou un bagnard ! Si l'un de ces malades avait été un Laffont del Cardaÿre, je l'aurais publié mais ce n'est pas le cas pour la période étudiée.
A partir de cette année 1838, les malades sont classés par catégories :
" 1° catégorie : individus atteints de divers degrés d'aliénation mentale ; 2° catégorie : indigens épileptiques ; 3° catégorie : filles ou femmes publiques infectées du mal vénérien [ syphillis qui, dans sa phase terminale, provoque la démence, Guy de Maupassant en fut atteint et en mourut] ; 4° catégorie : indigents atteints du même mal ; vieillards et incurables, infirmes et estropiés , enfans et orphelins de familles indigentes"
Une vraie "Cour des Miracles" au sens médiéval ! Tous les déshérités des vallées sont là, au moins les rejetés, hébergés "tot acobarejat", tous pèle-mêle ! Vous me permettrez de douter que cela soit bénéfique aux uns comme aux autres, à moins que les enfants se dénichent un aïeul de substitution pas trop décrépi parmi les vieillards...
Un autre document tente de définir les différentes pathologies qui semblent correspondre à la première catégorie ; c'est une première tentative de description et de catégorisation des affections mentales, décrivant les comportements anormaux et les symptômes des maladies :
« Dans la première division sont rangés les individus atteints de manie dont les principaux symptômes sont des paroxismes variables en intensité, en durée et en fréquences, caractérisé par l'activité insolite des idées, de l'agitation, des mouvements de colère et d'emportement, des discours incohérents, des vociférations incessantes, l'envie de briser, de déchirer, de battre et de tuer, sans une prédominance d'aucune idée particulière, avec face animée, turgescence des vaisseaux de la tête et d'autres symptômes d'une excitation des organes intellectuels et encéphaliques. »
« Dans la 2° Division, les aliénés atteints de monomanie, chez ceux-ci le délire se compose particulièrement d'une idée fixe et exclusive, autour de laquelle viennent se grouper toutes les idées désordonnées, ou bien dans un délire plus général, apparaît une série d'idées dominantes sur un même sujet, une passion fortement prononcée, qui fixe l'attention du malade et de ceux qui l'observent. »
« Dans la 3° Division sont classés les aliénés en état de démence, chez ceux des deux premières divisions, les symptômes de l'aliénation mentale accusent un état de sur-activité des facultés intellectuelles chez ceux qui sont en Démence, il y a, au contraire, inactivité, épuisement, affaiblissement ou abolition entière de ces facultés ; indifférence ou nullité mentale variable.
Lorsque la Manie et la Monomanie ont existé longtemps et ont passé au stade chronique incurable , l'excitation et l'agitation cessent peu à peu ; l'intelligence s'affaiblit graduellement, et les malades tombent enfin dans la Démence, qui est le dernier terme de l'aliénation mentale, et la nullité plus ou moins complète, des idées et du raisonnement. »
« Dans la 4° Division, sont compris, les aliénés en état d'idiotie ou d'idiotisme ; il y a ici stupidité native, plus ou moins prononcée et nullité de caractère, les idiots sont des êtres privés plus ou moins complètement, depuis l'enfance, des facultés de l'entendement ; ils diffèrent des aliénés en Démence, en ce que chez ceux-ci, l'oblitération de l'intelligence a été postérieure à sa manifestation complète. Les idiots forment une famille nombreuse en ce sens que depuis l'absence entière des facultés intellectuelles et de l'action des sens extérieurs, jusqu'au degré qui représente leur état ordinaire et normal ; on observe une foule de degrés et de variétés. »
« Dans la 5° et dernière Division, sont compris les imbéciles ; ils forment une sous division de la classe des idiots : nous avons conservé cette dernière dénomination aux individus privés, plus ou moins complètement, d'intelligence, réservant celle d'imbéciles, pour les êtres chez lesquels, on observe quelques idées, un usage borné de la parole et de la mémoire, et à certains actes raisonnables. Les imbéciles nous présentent, comme les idiots plusieurs classes suivant le degré de développement de leurs facultés. »
Ce texte datant de 1838 n'est pas signé par son auteur mais il témoigne d'un réel intérêt de ce médecin pour ses patients, il a pris le temps de les observer, de noter les manifestations comportementales et physiques de leurs troubles lors des épisodes de crise et de les classifier. Certes, nous sommes au deuxième tiers du XIX° siècle et la médecine psychiatrique commence à peine et nul remède ou traitement n'est proposé pour ces pathologies qui, néanmoins, sont décrites soigneusement.
Enfin pour connaître l'histoire de l'hôpital-hospice de Saint Lizier, rien de tel que de lire André Ortet « Un Asile d'Aliénés, Saint-Lizier 1811-1969 » ; ed auteur, 2004, 198 p. (ISBN 2-9522787-0-9) :
Un ouvrage passionnant et documenté qui nous permet de comprendre l'émergence de la médecine psychiatrique, mais aussi la vie quotidienne des internés et celle des soignants. Une lecture, parfois éprouvante, car réaliste, mais toujours enrichissante.
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