Les sobriquets en Couserans
Pourquoi trimballer ces patronymes doubles voire triples dans sa généalogie et surcharger son logiciel ? Allégeons ! Quel intérêt de garder "del Cardaÿre" à la suite du patronyme, il y a belle lurette qu'ils ne sont plus cardeurs les Laffont ! C'est ce que beaucoup de migrants font en quittant leurs montagnes pour des pays plus riches ou qu'ils pensent pleins d'avenir. A quelques kilomètres de la vallée, l'additif tombe sur le bord du chemin comme trop lourd à transporter, ils se fondront dans la masse et deviendront des Laffont tout court comme mon arrière grand-père François ! Certes, en Normandie où il migre et se marie, les Laffont sont rares... Mais voilà justement ce qui rend ces migrants si difficiles à identifier ; j'ai même lu que l'éditeur Robert Laffont était un "del Cardaÿre"...
Pourtant, dans les vallées du haut Couserans, l'additif au patronyme est capital pour la recherche généalogique, c'est d'ailleurs la première question que l'on vous pose dès que vous franchissez le seuil d'une Mairie : "Laffont, comment ?"
Au début, vous allez le ressentir comme un boulet, une entrave cet additif parce que tout le monde en porte un et il faut le (re)trouver à chaque fois ! Mais je voudrais vous prouver qu'en fait c'est une aide majeure dans la recherche.
Prenons un exemple : je sais que mon ancêtre s'appelait Jean Piquemal et qu'il était né à Massat dans les années 1850, prenons les tables décennales de Massat. De 1853 à 1862, nous avons plus de 6 pages de Piquemal soit 146 naissances... et parmi eux 17 Jean (sans compter les prénoms composés souvent abréviés dans la vie quotidienne). Rien ne décourage le généalogiste mais tout de même 17 actes à étudier ça prend du temps (dans le cas d'une Marie Piquemal, ce serait 25). On relève 36 additifs différents chez les Piquemal de cette décennie, alors prenons l'un des plus fréquents, Peypergut et là ! miracle ! seulement 2 actes sur 10 ans !!! Et s'ils survivent jusqu'à l'âge adulte, ces deux Jean Piquemal Peypergut auront souvent un réel sobriquet introduit par "dit" pour les distinguer.
Êtes-vous convaincus que ces ajouts au patronyme sont une aide à la recherche ? Pas encore ? Alors je vous laisse imaginer que les 17 Jean épousent 17 Marie... Piquemal, amusez-vous bien parce que les ascendants sont souvent des Jean et des Marie eux aussi !
Je peux vous faire la même démonstration avec les Galy, les Subra, les Tei(y)chenné ou les Loubet...
Il me semble impossible de faire une recherche sérieuse dans ces vallées avec le seul patronyme, or, certaines associations ne le relèvent pas, ce qui, à mon avis, rend leurs données difficilement exploitables ! Les ajouts et sobriquets ne sont pas du simple folklore, c'est une aide réelle, souvent indispensable.
L'additif au patronyme est le plus souvent le nom du hameau d'origine ou, plus rarement, un nom de métier ; ce qui ne veut pas dire que Jean Piquemal Bel réside toujours aux Bels, il peut s'être marié et habiter les Eychards mais il ne perd pas son ajout initial.
Voici un jugement de la Justice de Paix quasiment inexploitable faute de noms complets :
"ont comparu : 1)Raymond Piquemal, chef cantonnier demeurant au village des Bels en la commune de Boussenac 2) Jean Piquemal aîné cultivateur demeurant audit lieu des Bels... Les quels ont déclaré que s'étant accordés sur le partage des biens de toute nature dépendant des successions de Etienne Piquemal et Madeleine Pujol Raymond Piquemal et Madeleine Pujol leur père et mère oncle et tante communs quand vivaient cultivateurs habitant dudit lieu des Bels..."
Il est possible qu'il s'agisse de Piquemal Bel mais sans certitude et comment identifier, à coup sûr, les deux épouses Pujol prénommées toutes deux Madeleine ? Bien sûr en retrouvant les actes notariés et d'état civil, ça doit être possible : 4 mariages, 2 ou 4 testaments et un partage à chercher !!!
On voit aussi poindre une autre difficulté dans cet acte : Jean Piquemal est qualifié d'aîné ce qui signifie qu'il a un frère prénommé Jean, mais plus jeune, qui sera dit Jeune ou Cadet !
En effet, il est courant de voir dans les fratries 2 ou 3 enfants portant le même prénom, sans être, comme dans le Nord, des enfants de "substitution" ; tous sont bien vivants ! Voilà des exemples frappants chez Pierre Laffont del Cardaÿre marié en 1840 ou chez Jean-Pierre au siècle précédent :
Chez le premier, 3 Nicolas, 2 Bernard et 2 Marie ; chez l'autre, 3 Françoise et un François ! Remarquez chez Jean-Pierre les sobriquets "del Tric" et "dit Couril"
Ce qui donne des mentions étonnantes dans les testaments, le second porteur du prénom est qualifié de "autre" (je n'ai pas trouvé de terme associé au troisième) et il convient d'indiquer sa place dans la fratrie pour éviter les méprises ! Je me suis demandée si, psychologiquement, le fait d'être, toute sa vie, "Jean l'autre", n'a pas pu avoir une incidence sur la personnalité de ces enfants. Personnellement, je pense que cela m'aurait perturbé.
Voici un partage avec deux Jean Galy Cabeilh habitant le même hameau :
Vous pensez être quittes, eh bien non ! les ajouts de noms peuvent changer !!! Vous en avez un exemple plus haut, Marie Piquemal Camelle dit Couril est devenue Piquemal Couril ... les lecteurs assidus se souviendront que ce fut le cas pour Raymond Auriac Barlique dit Coupet dont le fils Arnaud sera dénommé Auriac Coupet ... et c'est assez fréquent : les Galy Cabeilh de Fals deviendront Galy Fals, les Galy Cabeilh dit Janjou des Galy Janjou et les Laffont del Cadaÿre verront apparaître des Laffont Parrat et Laffont Belet. L'additif cédant le plus souvent le pas au sobriquet.
Enfin, il peut exister des sobriquets sur les prénoms du type Pey Jean dit Jean-Pierre, là ce n'est qu'une traduction mais parfois les prénoms n'ont aucun lien que l'usage courant :
"Je fais, nomme et institue pour mon héritière générale et universelle Magdeleine Pujol Ségalasse dite aussi Jeanne Marie, ma soeur, et épouse de Jean-Baptiste Caujolle Bert..."
Pour identifier précisément une personne, il faut donc avoir recours aux sobriquets ou à la filiation, à la place dans la fratrie ou à l'addition de tout. Voici un autre exemple, dans un acte concernant l'installation d'une fontaine dans le hameau du Par (Boussenac), en 1875 :
L'instituteur qui n'est pas de la vallée se contente, lui, d'un nom simple.
Enfin, pour ceux qui ont des ancêtres ayant migré "aux Amériques", le patronyme a parfois été considéré comme un deuxième prénom (style le W de Georges W Bush) et dans Family Search, Jean Laffont del Cardaÿre peut être enregistré comme Jean L del Cardaÿre...
Si vous avez réussi à lire cet article jusqu'au bout et sans migraine, félicitations, vous pouvez entreprendre des recherches en Couserans !
Je parais à l'aise mais j'ai toujours un stress quand il faut marier un Jean Laffont surtout avec une Marie Piquemal !
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