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P comme "pain du forgeur"

Le pain, avoir du pain, c’est un symbole, c’est pouvoir nourrir sa famille grâce à son travail, c’est ne pas être réduit « à mendier son pain », c’est se suffire à soi-même… "Manger son pain blanc" c'est avoir des difficultés et ne pas s'en soucier, quitte à ce que le pain change de teinte, être insouciant ou imprévoyant...

A ce propos, savez-vous pourquoi on ne doit pas mettre le pain à l’envers sur la table ? Il y a plusieurs explications : cela porte malheur car le Christ en a fait le symbole de son corps ; on entend aussi que ce pain aurait été « gagné sur le dos » c’est-à-dire en se prostituant ou en exerçant des commerces illégaux. Mais historiquement, c’est le boulanger lui-même qui distinguait un pain des autres en le posant à l’envers : c’était celui du « bourreau » autrement dit de l’exécuteur de « hautes œuvres », qui, s’il était bien rémunéré, était en marge de la société catholique puisqu’il exécutait, sur ordre, ses semblables et ne respectait pas le commandement « Tu ne tueras point »…

 

Maintenant n’oublions pas qu’il existe plusieurs qualités de pain : noir, bis ou blanc. Or, dans les montagnes de l’Ariège, on voyait plus de bouillies, de galettes que de pain jusqu’au XIX° siècle.

 

Le « pain du forgeur », c’est le pain blanc, le nec plus ultra, celui des riches car les forgeurs avaient un statut social particulier, une qualification et un salaire fixe, ils étaient l’élite de l’artisanat montagnard. Comparés à l’agriculteur-éleveur des vallées, soumis aux aléas climatiques ; malgré un travail éreintant, le forgeur apparaissait comme un privilégié et c’est pourquoi on pensait qu’il ne mangeait que du pain blanc. Avoir ou manger " le pain du forgeur" signifiait donc : être à l'abri du besion, aisé.

 

Réécoutez la Montagne de Jean Ferrat, il a tout compris ! Que cherchent ceux qui migrent ? Un salaire fixe, un confort moderne et pour ce rêve, « ils seront flics ou fonctionnaires de quoi attendre sans s’en faire que l’heure de la retraite sonne » ! Certes, c’est un miroir aux alouettes, ils mangeront « du poulet aux hormones » mais du poulet fermier, en avaient-ils souvent sur leur table ? N’oubliez pas le dicton : celui qui cultive une terre de montagne rit un an et pleure sept ans !

Alors, ils partent, employés des chemins de fer, facteurs des postes, douaniers, « flics » ou surveillants de prison en métropole ou Outre-mer, mais ils partent pour des  emplois salariés à revenus fixes, ce qu’ils n’avaient jamais connu avant, « des emplois du Gouvernement » comme disait mon AGP et qu’il conseillait à Mathieu, son neveu. Loin de la vallée, certes, mais loin aussi de la disette, de la promiscuité familiale et de la pauvreté ambiante.

Ils partent aussi sans emplois fixes : colporteurs, montreurs d’ours, portefaix, brassiers, chanteurs de rue, etc… autant dire à l’aventure qui ne réussit pas toujours à les rendre plus « heureux » ; faut-il qu’ils soient désespérés nos ancêtres pour partir dans de telles conditions vers l’inconnu !

Et ils abandonnent leurs montagnes si rudes mais si belles, l’éloignement, une fois la sécurité acquise, la nostalgie arrive, avec peut-être une tendance à idéaliser ; comment peut-on oublier ces paysages majestueux

 

paysage 1 + petit.png

(au fond le Mont Vallier, Seigneur du Couserans)

 

Je suis pourtant née en Normandie où repose François, un pays attachant lui aussi (celui de mon enfance et adolescence) mais qui diffuse ses charmes avec parcimonie : les pommiers en fleurs sous un ciel bleu, c’est une pure merveille éphémère et rare ; les bois et les forêts y sont aussi splendides et riches en champignons, les chemins encaissés parfois guère plus praticables qu’en Ariège Mais avec tous ces charmes, il devait manquer à François … la montagne ! C’est elle, enneigée ou verte, qui m’a fait un choc affectif : je l’admire et je la crains mais elle me procure un immense sentiment de liberté, d’humilité aussi. Je crois que la photo d’en-tête de mon blog représente le choc premier qui me pousse à revenir sans cesse en Ariège, comme à une source.

 

Alors que choisir ? Le « pain du forgeur » assuré et blanc que nous connaissons tous actuellement ou les bouillies de nos ancêtres ? Qui d’entre nous serait capable de vivre dans un hameau de montagne à l’année ?

 

Une dernière photo pour vous convaincre de la beauté du Couserans ?

 

paysage 2 col de la Crouzette + petit.png

( Col de la Crouzette)



19/11/2018
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