Tomber comme à Gravelotte
Une expression bien connue employée souvent pour qualifier une pluie diluvienne sauf qu'à Gravelotte en Moselle au mois d'Août 1870, ce n'était pas à la pluie qu'on faisait référence mais aux hommes fauchés par la mitraille ou à la mitraille elle-même (l'origine est discutée).
Et c'est là que disparut Michel Sperte Sanflou, né à Massat le 21 Juillet 1838 au hameau de Balmayné. Sperte, un patronyme qui n'est pas de cette vallée, si bien qu'en 1866 lorsque Michel dicte son testament, le notaire Maître Emile Galy, fait une erreur et désigne le testateur sous le nom d'Expert Michel. "N'ayant pas de descendance et plus d'ascendants", il nomme pour héritier son oncle maternel François Pintat Farcet. C'est par cet acte que je retrouve le personnage.
Essayons d'en savoir plus sur lui : son père, Jean, est d'Ercé, la vallée voisine (celle des montreurs d'ours) où il épouse Anne Pintat Farcet le 3 Février 1834, il vient habiter dans la vallée de Massat.
En 1858, Michel a 20 ans et va tirer au sort à Saint Girons :
Il tire le numéro 130. En 1832, la loi Soult a porté la durée du service militaire de 6 à 8 ans et en 1855, une loi substitue l'éxonération au remplacement. La famille de Michel n'a sans doute pas 2800fr à donner, il est donc incorporé au 14° de ligne le 27 Juin 1859 (matricule 8757) et part pour 8 ans... Il est bien dommage que le secrétaire se soit dispensé de remplir le signalement physique du jeune conscrit, tout ce que nous savons c'est qu'il mesure plus d'1m 55 et qu'il est en bonne santé donc "propre au service". Il sera difficile de connaître sa carrière militaire, les registres matricules n'apparaissent qu'en 1859.
A sa démobilisation en 1866, il a perdu ses parents (sa mère avait disparu le 25 Avril 1848, son père décède le 3 Juillet 1860) et ne semble pas avoir rencontré l'âme sœur, peut-être a-t-il des difficultés à se réinsérer dans la vie civile. La "vie aux armées" doit lui manquer si bien qu'il s'engage en 1870 lors de la guerre franco-prussienne et intègre une unité d'élite : le 2° Grenadiers de la Garde qui fait partie de l'Armée du Rhin.
Le 16 Août 1870, il est porté disparu à la bataille de Gravelotte, plus exactement à Rezonville près de Mars la Tour (sous le nom de Gravelotte on regroupe deux batailles Rezonville le 16 et Saint-Privat le 18) où "la division des grenadiers en première ligne protégée à l'extrême gauche par le bataillon de chasseurs à pied de la Garde occupe le bois des Ognons" [in Bataille de Rezonville / Detaillé et deNeuville ; Gallica Lh5 1222 p 7]
Nouvelle difficulté pour suivre Michel Sperte "étant donné qu'à cette époque, les soldats français ne portaient pas encore de plaque d'identité individuelle, la majorité des soldats qui ont été relevés sur les champs de bataille étaient inconnus" [site La guerre de 1870 en photos]. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter la base "Sépultures de guerre" :
Peut-être repose-t-il au cimetière militaire de Gravelotte qui compte environ 8000 défunts mais dont les stèles sont anonymes.
Michel ne revient pas, c'est bien dommage pour lui... et pour moi ! J'aurais bien aimé retrouver une nouvelle affaire Martin Guerre !
En Juillet 1875, François Pintat Farcet fait valoir ses droits à l'héritage du "présumé décédé", il fait donc établir par notaire, le 7, un acte de notoriété constatant l'absence de Michel depuis la bataille de Gravelotte :
"que depuis ce moment et pendant tout le temps qui s'est écoulé jusqu'à ce jour, ledit Michel Expert n'a pas reparu à son domicile ; qu'il n'a donné à personne de ses nouvelles soit par lettre, soit autrement. Que toutes les recherches sur les causes de cette disparition ont été infructueuses et n'ont fait connaître aucune nouvelle résidence du sieur Expert ; soit à son corps soit ailleurs. Qu'ainsi toutes les circonstances font présumer qu'il est décédé et qu'il y a lieu en conséquence de faire délivrance à qui de droit, des biens qu'il possédait, après l'accomplissement des formalités légales."
Notons que Maître Duprat commet la même erreur que son collègue sur le patronyme qui est peut-être due à la façon de prononcer le nom. Il sera donc nécessaire d'établir un acte rectificatif de notoriété le 31 Août suivant certifiant "qu'il y a bien identité de personne entre ledit Michel Sperte Sanflou et la personne dénommée Michel Expert Sanflou dans le testament sus-visé". Mais comme Michel Sperte n'est pas officiellement mort, son oncle héritera à titre provisoire et devra indiquer une personne se portant caution, au cas où le disparu viendrait à réapparaître et réclame la restitution de ses biens.
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