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La condition du cadet

Sous l’Ancien Régime, en Couserans, selon la tradition pyrénéenne, du Pays Basque à la Gascogne et au Comminges, l’aîné hérite de l’oustal mais aussi de la charge de la famille entière. Si les parents décèdent en laissant des enfants mineurs, il devient tuteur, doit doter ses sœurs, et s’ils survivent, les entretenir. Il est héritier mais enchaîné à sa terre et à sa maison.

Mais que deviennent les cadets ? Ils ont bien peu de possibilités.

 

La première : se marier « gendre » c'est-à-dire épouser une aînée (mais dans les actes on trouve une expression bien plus méprisante « venir se coloquer », il ne possède rien et vient habiter chez sa femme) encore faut-il qu’il amène une dot !! (G comme Gendre Challenge 2015)

 

La seconde partir travailler au loin comme ouvrier agricole et se constituer un petit pactole pour épouser une autre cadette mais leur vie risque d’être difficile.

  

La troisième : rester célibataire et devenir employé de l’aîné, situation très différente selon les familles mais toujours subalterne.

  

Enfin, la quatrième : partir, migrer définitivement loin du pays, tenter l’aventure pour se faire une vie, ailleurs.

Dumas et Rostand nous ont bien décrit la vie des cadets de Gascogne, car, tout comme les rustres, la petite noblesse avaient ses cadets, pour eux, ne restait que le choix entre l'église et l'armée, Ceux qui n'avaient pas été "appelés par Dieu" , nous les retrouvons dans « Les Trois Mousquetaires » ou « Cyrano de Bergerac » menant une vie aventureuse et débridée :

 

Cyrano Acte 2 sc VII Monologue des cadets ED Rostand.PNG

                                             (Cyrano de Bergerac acte II, scène VII Tirade des Cadets)

 

 

Chez les rustres, la situation est comparable et certains ouvriers agricoles s'étaient déjà installés dans les basses terres du Languedoc à la fin du XVIII° siècle ; là où ils pouvaient espérer une vie "meilleure"...

 

Olivier de Robert résume ainsi la situation avec une de ses formules magistrales dont il a le secret : " A la fin du XIX° siècle... tu es l'aîné ou tu crèves. On peut inventer de jolies phrases pour le dire plus poliment, mais le résultat est le même : si tu n'est pas l'aîné, tu n'as pas les terres, pas plus que la maison. On n'a pas les moyens de partager l'héritage ; les pentes sont trop rudes et les terres trop pauvres..." (Contes et légendes d'Ariège p. 428)

Cette constatation s'applique, là, à la vallée d'Oust, Ustou et Ercé mais elle est valable pour Massat, sa voisine...

 

Tous les moyens sont bons pour éviter cette condition subalterne et dépendante :

 

Être volontaire sous la Révolution ou l'Empire, remplaçant d’un aîné riche, ou simplement conscrit ; l’armée est une solution. Tous, avant leur départ, établissent leur testament devant notaire en faveur de l'aïnat, bien sûr.

 

Testament G Camboulas partant pour les armées de l'Empire photo 1818 4-10-2013.PNG


 Testament G Camboulas 18-5-1811 à son frère.PNG

"Lequel Galy Camboulas ... partant pour les armées de l'Empire, saint d'esprit et de ses sens nous a dit vouloir disposer de ses biens ... et institue son héritier universel et général de tous et chacuns les biens meubles, immeubles, voix, noms, droits, actions et prétentions qu'il laissera audit jour de son décès Guilhaume Galy Camboulas son frère, cultivateur, habitant dudit quartier du Sarailhé....

            (Testament  Jean Galy Camboulas fils de Jean et de Françoise Laffont del Cardaÿre du 18-5-1811 Massat)

 

Imaginez l'ambiance ! Ce n'est pas "la fleur au fusil" ! Le testament n'est qu'une formalité ; en réalité, ce soldat cadet n'aurait eu que quelques "compensations" bien maigres ( des ruches, une bedelle) mais le Code Napoléon supprimait le droit d'aînesse, comment éradiquer un droit ancestral dans les mentalités par une simple loi « parisienne » ? « Prudence est mère de sûreté » et un testament en bonne et due forme évitait les embrouilles !

 

Il est indéniable que ceux qui ont rejoint « les armées de l’Empire », ont eu l'opportunité de ne pas revenir et d'avoir des situations meilleures qu’au pays. S’ils sont revenus, ils ont eu des facilités d’emploi qu’ils n’espéraient pas. Gendarmes, gardiens pénitentiaires, gardes forestiers et même facteurs des postes et cantonniers sont recrutés à partir de leur parcours militaire jusqu’à la fin du siècle. A cela s’ajoute l'obligation de savoir lire et écrire mais c’est incontestablement un vrai « tremplin social », pour les cadets en particulier !

 

Le XIX° siècle va proposer d'autres opportunités, pourquoi ne pas essayer l'aventure plutôt que de rester domestique chez l'Aînat. Migrer, vers les plaines riches, vers les grandes villes ou bien plus loin au delà des mers, c'est la solution !

 

Ce droit d'aînesse absolue est le pivot de la société Pyrénéenne et pour en avoir une vision claire et érudite, ne vous contentez pas de mes petits billets. Plongez-vous dans :

 

Femmes Pyrénéennes.PNG

Une « bible » pour comprendre les relations sociales du Pays Basque au Couserans et qui plus est, très enrichissant et limpide, à lire et relire . Grand merci à Isaure Gratacos qui m'a si agréablement fait découvrir les fondements sociaux de la vie de mes ancêtres !

 



05/08/2017
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