G comme Grande Guerre
J'aimerais vous raconter la vie militaire de mon "grand cousin" Mathieu Faux. J'étais très jeune quand je l'ai rencontré, quelques années avant sa mort, mais j'ai gardé de lui l'image d'un homme assez grand, sec comme un cep de vigne, jovial et accueillant. J'étais très impressionnée, il avait une voix forte et bien timbrée.
Je devais avoir 7 ou 8 ans et pas encore atteinte du virus de la généalogie ; de toute façon, les enfants "bien élevés" de l'époque ne devaient pas poser de questions aux adultes... j'en aurais tellement à lui poser maintenant au cousin Mathieu !!! Il était le neveu de François, le facteur dont je viens de vous parler.
C'est fou ce qu'un grenier familial peut contenir de "trésors généalogiques" mais chaque investigation fructueuse nécessite ensuite un travail de classement et de tri, ce jour là, j'ai retrouvé une correspondance entre Mathieu et son oncle François et ses cousines germaines : Marguerite, ma grand-mère et Jeanne, ma grand-tante datée de 1911 à 1925.
Mathieu est né le 15 Avril 1888 à Riverenert, survivant d'une naissance gémellaire et seul enfant vivant du couple de Pierre Faux et Jeanne Laffont del Cardaÿré. Il est donc de la classe 08 et rejoint le 11° RI, le 8 Octobre 1909.
Durant son service, il semble plus intéressé par les permissions que par les exercices militaires et se fait parfois punir : il écrit début Avril 1910 " je voulais bien venir [à Bernay, chez son oncle] pour huit jours de permission . La veille avant de partir, nous avons eu marche militaire et je suis été puni, je n'avais pas le chargement complet, il me manquait deux lingots, on m'a supprimé les jours de permission et on me les a changé en 4 jours de consigne..." La même année, après une formation (17 Avril au 27 Mai) il obtient la qualification de "conducteur de voitures en guides". Le 24 Septembre 1911, il quitte la caserne, son certificat de "bonne conduite" en poche et apparemment sans regret.
Il revient dans son village mais il est orphelin et sans emploi, il demande conseil à son oncle, qui, fort de son expérience, lui conseille de postuler à "un emploi du gouvernement" et lui indique les personnes influentes à contacter comme Maître Galy Gasparrou, notaire et maire de Massat. N'a-t-il pas osé faire les démarches ou veut-il voler de ses propres ailes, Mathieu trouve du travail dans les grands hôtels, sans doute comme cocher.
En 1914, il est attiré, comme beaucoup d'Ariégeois, par le "Nouveau Monde", a-t-il rencontré un cousin, une relation qui lui a donné une adresse? En tout cas, il envoie une carte à Marguerite pour lui transmettre ses "souvenirs de bien loin":
Il est à Buenos Aires en Argentine, la carte est datée du 20 Juin 1914 et parviendra à Bernay le 14 Juillet. Mais la mobilisation approche !!! Que va faire Mathieu? Il peut y échapper mais rester "bien loin" et y faire sa vie...
Autant les Ariégeois étaient passés maîtres en désertion au siècle précédent, autant ils furent rares à déserter en 1914 ; Mathieu rejoint le 211° RI à Montauban le 3 Août 1914 et écrit "suis équipé, attendons les ordres"...
Il se retrouve bien vite dans la tourmente de la guerre, suivent les nouvelles du front commençant par "je suis toujours en bonne santé", façon pudique de dire je ne suis ni fou, ni mort , ni blessé! Puis, il remercie des nouvelles reçues, demande des photos et formule des souhaits pour que la guerre finisse vite. Seuls indices de sa vie quotidienne : la météo "il gèle à pierre fendre" ou l'état du secteur "plus calme" ou les regrets des joies passées " de mon côté, les fêtes de Noël et du premier de l'an n'ont pas été si gaies que lorsque j'étais parmi vous"..." cette année je n'ai pas éprouvé le même bonheur"!
Les permissions, tant attendues, ont aussi un goût amer, Mathieu souligne "la peine que l'on ressent plus tard lorsqu'il faut se quitter surtout en sachant où il fallait revenir...j'avais, c'est le cas de le dire un cafard monstre"
En 1916, son régiment part vers Verdun dont il envoie un carte postale d'avant l'offensive :
Rien ne semble détruit. Il faut dire que Mathieu se montre cartophile avant l'heure, il a aussi envoyé la collection complète des cartes du Fort de Troyon.
Le 7 Mars 1916, dans le secteur du bois des Corbeaux et de Cumières, il est fait prisonnier ; voici ce qu'en dit le JMO du 211° : "dans la nuit du 6 au 7 Mars ?? de notre artillerie sur la cote 265 et ses abords. A partir de 8h, le bombardement ennemi recommence avec une extrême violence sur le bois des Corbeaux et Cormières et sur les pentes de la voie ferrée et à 11h les vagues d'assaut sont signalées. Belle résistance des nôtres. Débordement sur notre gauche par un ennemi de beaucoup supérieur en nombre. Le Lieutenant Colonel ??, le lieutenant Le Renard sont faits prisonniers vers 12h30 par des groupes ennemis qui se présentent entre la porte de Cumières, Forges et le bois de Cumières..." Mathieu doit faire partie du lot !
N'étant que simple soldat, il est interné au camp de Ludwigsburg dont il a toujours la bonne idée d'envoyer une carte postale :
et travaille comme ouvrier agricole. Dans ses lettres, il raconte sa vie de prisonnier et prend soin d'énumérer ce qu'il trouve dans les colis envoyés par François, sans doute pour vérifier si rien n'a été détourné, bien souvent le tabac a disparu.
Il achète une grammaire allemande que j'ai retrouvée et dans laquelle il écrit :" Faux Mathieu 211° RI Compagnie des pionniers, Peloton des bombardiers, secteur postal 139. Capturé à Forges le 7 Mars 1916, arrivé au camp de concentration de Darmstaat le 9 Mars 1916, parti en corvée le 4 Avril 1916."
Il était prêt à apprendre une autre langue pour vivre en Argentine ; pourquoi pas l'Allemand pour s'évader !
Une fois prisonnier, il évoque enfin les traumatismes des tranchées :" Après avoir resté 18 mois dans les tranchées, je ne pouvais pas rester immobile...j'étais obligé de me lever pendant la nuit et de fumer quelques cigarettes, alors jugez un peu du degré où j'en étais." (lettre du 7Janvier 1917)
Il détaille ses activités agricoles : " encore un mois et on va faire les foins. Ce sera la 3° fois" (lettre du 5 Mai 1918), son emploi du temps du Dimanche : "Nous voici un peu tranquille, le matin on va soigner le bétail ainsi que le soir et le reste de la journée on l'emploie pour laver son linge, ceci terminé soit la manille ou on fait un peu de cuisine." (lettre du 7 Juillet 1918)
Par contre, certaines nouvelles du pays l'inquiètent, les chutes de neige abondantes en Ariège surtout : " vous me dîtes que dans l'Ariège, pas mal de trains sont bloqués par la neige et que à Ustou, Massat et Ax les Thermes, il est tombé 2 mètres de neige, il est sas doute certain que Riverenert n'a pas été épargné du fait, ma chaumière va s'effondrer." (lettre du 17 Mars 1918)
Bien qu'il compte les mois de captivité, il ne semble pas trop malheureux, 'je ne suis pas trop démoralisé... mes cousines ont soin de me faire parvenir quelques babillardes", il leur propose aussi de fabriquer des objets tels que "bagues avec des croix de Lorraine ou obus boche pour faire un excellent encrier".
En 1918, il tient des propos ouvertement pacifistes :"Ah! Est-ce que le peuple est bête de s'entrégorger pareillement et de se torturer pour une bande de je ne sais quoi...j'espère que plus tard le peuple comprendra et enfin qu'on mettra une fin pour ne plus voir de pareilles choses...espérons que sous peu cela se terminera et que les hommes deviendront frères et ne plus jamais revoir cette boucherie humaine." (3 Mars 1918)
Enfin, on relève des phrases sybillines : " Toutefois, je vous préviens et prenez le avec sérieux jusque tant que je ne vous cause de rien, ne m'envoyez plus de colis ni en vivres ni en effets...si je cause ainsi j'ai un but, je n'ai besoin de rien, par contre ce que j'écris prenez le au sérieux." (Mars 1918) Un projet d'évasion ?
Au mois de Mai, un grand espoir surgit :" un assez grand échange serait en projet de se faire pour les prisonniers ayant plus de 18 mois de captivité. Ici, les journaux en ont déjà fait mention." (5 Mai 1918)
De nouveaux sujets de préoccupation apparaissent comme l'irrégularité du courrier : " je ne sais pas vraiment ce qui se passe mais il y a très longtemps que je n'ai pas reçu de vos nouvelles, toutefois je suis un peu consolé par nos copains qui se plaignent également" (7/7/1918)
Il n'y aura ni échange ni évasion, et Mathieu sera rapatrié le 18 Décembre 1918, il arrive le 26 au DTI et retrouve la vie de caserne. Il enrage de se retrouver dans une caserne surpeuplée où "on ne sait pas quoi faire de nous", d'être soumis, à nouveau, aux marches et exercices et à une discipline "très sévère, pour une simple bagatelle... on n'y coupe pas pour 8 jours de prison."
Comme beaucoup de Poilus, il avait espéré un retour si ce n'est triomphal mais au moins chaleureux, en tout cas moins tatillon envers ceux qui avaient défendu la Patrie.
Pour ajouter à son écoeurement, il constate les "indélicatesses" de la famille de Riverenert; il s'y rend fin Décembre et note : "en rentrant chez moi, j'ai été surpris en
constatant l'absence de plusieurs objets assez de valeur disparus". Puis, il apprend par un voisin que la famille a perçu son argent : "je touchais l'allocation pendant 18 mois" ; 700 fr environ sur lesquels sa tante Rose ne lui donnera que 300fr ! Et Mathieu, amer, de conclure "après bientôt cinq ans de souffrances, voilà la récompense du Poilu."
( registre matricule 942 de 1908 bureau de Saint-Girons)
Mathieu retournera t-il à Buenos-Aires comme il en a l'intention lors de sa mise en congé en 1919 ?
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