L'enfant abandonné
Les deux derniers billets vous ont présenté les cas qui se résolvaient "pour le mieux" et de la mère et de l'enfant (reconnaissance ou acceptation de l'enfant dans la famille) mais, dans la plupart des cas, l'enfant n'est pas accepté et la mère peut être chassée de l'oustal !
Que faire ?
Partir pour gagner sa vie et mettre l'enfant en nourrice, mais ces jeunes femmes n'ont souvent aucun pécule et peu de qualifications ; alors, la plupart choisissent l'abandon...
La sage-femme mènera donc l'enfant à l'hospice de Saint-Lizier qui, au milieu du XIX° siècle, abrite aussi des aliénés, des mendiants, des malades et des vieillards, des crétins aussi ; une vraie Cour des Miracles au sens moyenâgeux.
L'enfant y sera hébergé dans des conditions spartiates mais peut-être pas pire que celles que sa mère rejetée aurait pu lui proposer ; il sera nourri par des nourrices rétribuées par l'hospice pendant quelques jours. Le temps d'effectuer les formalités de rigueur et de lui trouver une nourrice qui le prendra en charge pendant plusieurs années, le nourrira et l'élevera, contre rétribution, bien sûr !
Là, la législation est identique dans toute la France mais les conditions de vie des nourrices diffèrent grandement selon les régions en fonction de leur prospérité ! Ce sont toujours les pauvres qui élèvent ces enfants pour en obtenir un revenu, c'est évident ; mais monnayer son lait en Couserans, pays pauvre, ne permet pas d'apporter la relative aisance dont le bas pays dispose !
L'enfant quitte donc l'hospice, dûment muni d'un livret et d'un collier, pour être confié à une nourrice contre rétribution, mais sans nul doute, elle nourrira son propre enfant avant d'allaiter « l'autre » avec les « restes » ou du lait de vache, de brebis ou de chèvre ; d'emblée, il risque d'être sous-nûtri, mal logé et mal chauffé...Je préfère ignorer l'aspect affectif !
On retrouve de multiples traces de ces malheureux enfants dans l'état civil lors... de leur décès, très souvent en bas-âge et personne ne semble se soucier de mal traitance possible, personne ne semble non plus vérifier les conditions de vie de ces enfants. Après tout la mortalité infantile est très importante même pour les enfants légitimes.
Des nourrices enchaînent plusieurs décès de bébés confiés à leurs soins sans que personne, ni l'Hospice ni la Mairie ne s'en inquiètent
"Mairie de Massat ... le 21° jour du mois de Mai 1836 à 11h du matin, acte de décès de Marie, décédée le jour d'hier à 2h du soir en la maison de Barthélémy Sablé Teichenné, époux de Jeanne Rivère de Carles à qui il a été confié pour être nourri, ladite maison dite à Maureu, commune de Massat, âgée de 22 mois, fille naturelle de l'Hospice de Pamiers ..."
ou encore Philippe:
"Massat ... le 22Juin 1836 à 10 h du matin, acte de décès de Philippe décédé le jour d'hier à l'heure de midi, en la maison sise à Massat de Jean Pierre Rivère Bassinet, époux d'Anne Bénazet Pissou à qui ledit Philippe a été confié pour être nourri, âgé d'un an , enfant naturel de l'Hospice de Foix..."
Aucune investigation ne semble être faite et le couple reçoit un autre enfant...qui procure au couple une nouvelle rétribution...!
A 6 ans, s'il survit, il revient à l'orphelinat où les Soeurs lui inculqueront quelques notions de religion mais sans doute bien peu d'instruction.
Puis le jeune abandonné sera placé comme domestique ou servante dans une famille et cela peut avoir une issue heureuse (cf quand une vie bascule en trois actes) mais cela semble rarissime, quoique !
Un roman nous donne un autre exemple et ce roman me semble bien refléter les sentiments divers et contradictoires, parfois, que ressent un enfant abandonné. N'ayant pas été dans ce cas, je ne peux pas juger, sauf à dire que l'histoire est poignante et le roman captivant
(Henriette Martin-Eychenne, éditeur ; Foix, 1993 (129 p.)
Pourquoi suis-je à l'affût des moindres traces de ces bébés non voulus ? Je suis née en 1950 et mon adolescence s'est déroulée, certes, sans sida, mais sans préservatif et sans pilule, or, qui est à l'abri d'un faux-pas ?
Et puis surtout, j'ai deux Mémé " poussins de haie", elles ne sont pas ariégeoises mais picardes (branche paternelle), peu importe les cases blanches dans mon arbre, c'est surtout leur vie qui m'intéresse !
La première Cocquebert Charlotte a été assumée par sa mère, Rosalie (et ses grands-parents), le meilleur qui puisse arriver. Elle s'est mariée avec Jean Nicolas Moraux et a eu 16 enfants, tout en étant aubergiste à Berry au Bac dans l'Aisne.Elle ne devait pas avoir "les deux pieds dans le même sabot" comme on disait à l'époque et devait être vaillante et endurante ! Il semble que l'auberge ait été située près du canal : les garçons sont devenus Mariniers et les filles ont épousé des... Mariniers, bien sûr ! Une généalogie pas facile à retracer !
La seconde Mémé, c'est celle que j'ai eu le plus de difficulté à retrouver (et encore en partie puisque je ne sais rien de son adolescence et pas grand-chose de son enfance). Son dossier n'existe plus à Paris, l'a-t-il suivi dans la Somme puis dans l'Aisne? Quand j'ai cherché aux AD 02, la série U (conseil de « famille » pour son mariage) n'était pas communicable car « non classée » et elle ne l'est toujours pas, la série X, non plus... et les AD sont en déménagement, peu d'espoir d'avoir accès à des documents avant des mois !
Elle s'appelle Julie Maucarré dite Montcarré, il faut donc la chercher sous ces deux patronymes utilisés alternativement, sa mère (Julie Adrienne) est mariée avec un sieur Martin Antoine Hubert (lui manouvrier et elle domestique), ils ont déjà 4 enfants légitimes, ils habitent à Marcilly en Seine et Marne.
Or, sa mère l'a mise au monde à Paris en 1848, rue du Faubourg St Martin dans le 5° arrondissement (de l'époque) et l'a abandonnée. Est-ce un drame de la misère ? A-t-elle « fauté » et son mari n'a-t-il pas voulu accepter la bâtarde ? En tout cas, Antoine décède le 10 Août suivant (1849) et Julie Adrienne, le 17 Janvier 1851...De toute façon le sort de Julie aurait été scellé : orpheline !
Mais ce qui m'émeut le plus en regardant le sort de cette petite fille, c'est son endurance : elle naît le 10 Février, il ne devait pas faire très chaud et 8 jours plus tard, elle est transportée (dans quelles conditions ? En tout cas pas en carriole chauffée) à Doullens pour être mise en nourrice et ...elle survit ! Comment se fit le trajet ? A dos d'homme, dans une patache ? Combien de temps a-t-il fallu ? Comment les bébés étaient-ils nourris ? Son arrivée en vie relève du miracle !
Mais le reste de sa vie aussi ! Elle se marie dans l'Aisne, où habite son père adoptif (Germain Toullot), avec un émigré Luxembourgeois, a deux filles, survit à 3 guerres dans un secteur dangereux ; elle habite près du tristement célèbre "Chemin des Dames" et décède à 91 ans à Mayenne, le 21 Janvier 1941 durant l'exode... Elle avait « l'âme chevillée au corps », mon AAGM, vue l'espérance de vie qu 'avaient les enfants abandonnés à cette époque , elle mérite une mention au Guiness !
Elle a eu une soeur, elle aussi abandonnée à Paris en 1849 que j'ai trouvée grâce à son mariage avec un optant alsacien (après 1870) et les deux soeurs se sont retrouvées de leur vivant !
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