La "Diaspora" ariégeoise
Vous souvenez-vous de la création du premier Massadel ? (C comme Christ 2017) Eh bien, Olivier de Robert nous en propose une version plus complète et, selon son habitude, plus truculente, dans « Contes et Légendes d'Ariège ».
En effet, Adam le Massadel dès que le Créateur lui eut donné la parole, ne se contenta pas de demander l'aumône, il engagea la discussion avec Dieu lui-même ! Quel culot, tout de même ! Le Créateur, un peu radin, s'offusqua de cette demande d'argent et délivra son verdict : « Puisque c'est ainsi, je te condamne à rester toujours le plus pauvre des pauvres dans ta vallée de misère.... A moins que tu nous suives de par le vaste monde ! » (p. 35) Adam, toujours aussi effronté, de répondre : « Ah ça non ! Je suis né ici et j'y resterai ! »
Et le conteur de livrer la morale de cette légende : « … ce que dit cette histoire, c'est que l'on n'a pas eu de chance au départ mais que si nous faisons l'effort de quitter notre vallée de Massat, nous pouvons conquérir le monde. Alors, la misère, nous la choisissons, comme des seigneurs, pour rester sur la terre du premier de nos pères. » (Id p. 35)
Revenons à la réalité historique, qui, certes, a moins de panache !
C'est une évidence que nombre de Massadels firent le choix de partir dans le vaste monde, temporairement puis de façon définitive dans la seconde moitié du XIX° siècle. L'hémorragie continua et s'accentua même, au XX° siècle ; il vous faut des chiffres pour vous convaincre ?
(établi à partir des chiffres publiés par HistAriège.com , les communes : Histoire et Patrimoine)
La vallée de Massat perd donc 30% de ses habitants avant 1921, la population actuelle ne représente plus qu'environ 15% de celle de 1851 !
La population augmente et atteint son apogée vers 1850.
Tout est cultivé, même les sols pauvres (amendés au fumier transporté à dos d'homme), même les terres si pentues qu'il faut s'encorder à un arbre ou un rocher avant de pouvoir les moissonner « en sécurité ».
La vallée est à la limite de survie, le moindre incident climatique est redouté. Pour s'en préserver, on prie beaucoup, on sonne les cloches au moindre signe d'orage (ce qui est censé le détourner, même si, souvent, c'est sur la vallée voisine).
C'est donc, une vallée apaisée en terme de lutte contre le pouvoir central mais sur « le fil du rasoir » en terme économique.
Les migrations saisonnières vers l'Espagne et le bas pays ont toujours existé mais en raison de la « surpopulation », elles s'intensifient à partir de 1840 : il faut aller ailleurs pour sa pitance et son gagne-pain et ainsi soulager l'oustal.
En 1845, au plus fort du « baby boom » ariégeois, la décennie calamiteuse commence , la migration devient « générale » pour fuir la misère et la disette. (D,E,F du Challenge 2017)
La plupart rejoignent encore l'oustal malgré tout, mais comment se résoudre à une vie si chiche en récompenses, même au prix d'un labeur acharné ; comment rester aussi quand on est cadet et sans espoir d'héritage voire même de vie matrimoniale, alors qu'on a découvert les « riches pays » où abondent pain, lard et vin !
Les migrations deviennent définitives, ils resteront dans ces pays de cocagne et ce d'autant plus que de nouvelles sources de "richesse" s'ouvrent à eux ! Le « ségadou » peut vendre sa faux et sa pierre d'Aleu, s'il trouve un emploi aux chemins de fer qui commencent à se construire... Le travail ne sera pas moins rude mais il sera salarié à l'année, une sécurité qui n'existe pas dans les vallées. (W challenge 2016)
D'autres partiront bien plus loin : rêves de fortune ? Sentiment de ne rien avoir à perdre ? Goût de l'aventure ? Les montreurs d'ours se disperseront sur tous les continents, les colporteurs sillonneront l'Europe et le Maghreb ; les autres iront vers Toulouse, Bordeaux et Paris ou au bout du monde comme portefaix, porteurs d'eau, tâcherons, maçons, bûcherons, terrassiers etc... Ils exercent tous les métiers non qualifiés disponibles. Nous les retrouverons du Royaume Uni (M challenge 2015 "un dégraisseur de plumes ariégeois"), aux Etats-Unis, au Canada, en Amérique du Sud et jusqu'en Australie, Nouvelle-Zélande.Certains iront même jusqu'en Océanie : librement (la Tentiaire, un surveillant ariégeois 2017), aventuriers ("un ariégeois échappe aux cannibales" 2017) ou contraints et forcés (bagnards).
Les Ariégeois ont donc des cousins potentiels (certes, éloignés) sur toute la planète.
Au sujet des migrations, la littérature abonde mais deux romans sont à retenir et à lire : "La montreuse d'ours de Manhattan"/ Rouch Jean-Jacques (O comme Ours 2015) et "Les Cavaliers aux yeux verts » / Loup Durand (LDP n° 6640)
Sur l'épopée des montreurs d'ours, officiellement "conducteurs d'animaux" sur les passeports, procurez-vous absolument les ouvrages de Françoise Lewis, une de leur descendante. Elle vous invite à suivre les Oussailhers sur tous les continents, une lecture aussi agréable qu'enrichissante, étayée par une documentation solide et variée.
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