Vivre à même pot et feu
Une expression qui revient souvent dans les actes notariés ; mais que cachent ces mots? Quelle est l'ambiance familiale ? Comment supporter le caractère des uns et des autres, même si ce sont vos enfants et ...pire leurs conjoints !
A part de faire un voyage dans le temps ...comment le savoir !
Et pourtant, parfois, un acte nous entrouvre une porte sur la vie privée et familiale d'un ancêtre ; une chance inespérée à ne pas rater, car c'est exceptionnel !
Ici, c'est un inventaire après décès à la demande de Françoise Claustre Peyas établi 3 ans après le décès d'Etienne Laffont del Cardaÿre, son époux défunt à 27 ans. Ils n'ont pas encore eu le temps de s'établir (ou ne le souhaite pas) et vivent encore à l'oustal du patriarche Raimond Laffont...
Après le décès d'Etienne, Françoise continue à vivre « à même pot et feu » chez ses beaux-parents mais au bout de trois ans, elle se décide à mettre fin à cette situation :
| « [Dans[ notre étude a personnellement comparu Françoise Claustre Peyas, veuve d'Etienne Laffont del Cadaÿre, brassier, habitant au parsan des Eichards vallée de Boussenac, qui nous a volontairement dit et déclaré que ledit feu Etienne Laffont son mary serait décédé ab intestat le huitième Décembre mil sept cent soixante seize ; sous la puissante authorité et dans la maison de de Raimond Laffont son père, ledit Etienne Laffont laissant à luy survivane une fille appelée Jeanne, que la comparante ; son dit mary et laditte fille ayant toujours vécu au même pot et feu ensemble avec ledit Raimond Laffont et sous son authorité et dépendance, la comparante aurait été obligée de continuer la même cohabitation avec sa ditte fille, après le décès... »
« dudit Etienne Laffont son mary qui n'ayant pu continuer cette cohabitation, la ditte comparante s'étant séparée, il y a environ un mois avec saditte fille dudit Raimond Laffont et de son approbation... »
La décision de séparation est prise, les deux parties sont d'accord, mais le Notaire ne précise pas quelle sera la nouvelle résidence de Françoise et de sa fille. Le mois suivant, elle s'entoure de nombreux témoins pour inventorier et priser ses biens restés chez son beau-père :
« La comparante avait fait assigner du courant controllé ledit Raimond Laffont del Cardaÿre, Pey Jean Laffont des Cardaÿre son neveu ; Antoine Laffont del Cardaÿre et Jean Pierre Laffont son frère, et encore Arnaud Claustre Peyas frère de la comparante habitants dudit parsan des Eichards et du hameau d'Esquen vallée de Massat, proche parents de sadite fille à ce jourd'huy heure de 7 du matin... »
Ayant rassemblé tout le monde, M° Delage procède à l'inventaire après décès demandé par Françoise pour garantir les droits de Jeanne sur ses biens.Il vient donc dans la maison de Raimond qu'il décrit ainsi :
« Surquoy nous Notaire ayant égard à la réquisition de ladite Claustre, nous nous sommes transporté audit parsan des Eichards et au domicile de laditte Claustre qui est une maison basse bâtie de pierre et terre le couvert de paille et une seule chambre au rez de chaussée... »
La pièce unique abritant trois générations ne doit pas faciliter la cohabitation et vu le caractère autoritaire de Raimond, souligné par deux fois par sa belle-fille, l'atmosphère familiale doit être assez tendue voire « étouffante ». C'est sans doute pour cela que Françoise préfère quitter l'oustal pour que sa fille grandisse dans une ambiance plus sereine ! Mais, elle ne compte pas partir les mains vides, elle va donc présenter au Notaire les biens de son mari et les siens propres (dottalices).C'est loin d'être un « trésor », les outils sont usés, les vêtements aussi mais « un sou est un sou » et puis il y a des brebis
« Plus nous a été représenté par laditte Françoise Claustre comparante une vache poil gris de l'âge de 9 ans, pleine, que la comparante a évalué à 40 livres
Et finallement nous a été représenté par ladite comparante une brebis avec sa suite d'un agneau de l'année qu 'elle a déclaré de la valeur de 6 livres
Ensemble noua été représentée une autre brebis noire ...2 livres
Et enfin un mouton ..2 livres »
Le tout 48 livres tout de même ! On ne peut pas délaisser cela pour avoir son indépendance ! D'autant qu'à la fin de l'inventaire un autre conflit avec Raimond surgit : les ventes faites par l'une et l'autre après le décès d'Etienne. Décidément, les discussions et griefs ne manquent pas entre le beau-père et sa belle-fille. Etienne quand il était de ce monde temporisait-il ? Il était l'Aïnat, l'héritier de l'oustal (sa perte est d'autant plus grande), il n'avait pas de cadet mâle, seulement 2 sœurs...Une situation critique pour l'oustal, qui, à la disparition de Raimond risque de se trouver sans maître, il faut trouver un « gendre » ! Ce sera sans doute Jacques Degeihl dit Peyré dit le Rey qui a épousé Marie en 1773.
Finissons l'inventaire :
« Comme aussi ladite comparante nous a déclaré pour la décharge de sa conscience que depuis laditte séparation, elle a vendu 7 pans étoffe de bure à 4 livres 4 sols qu'elle a dit avoir employé pour sa nourriture et entretien et celle de saditte fille
Et à l'instant ledit Raimond a protesté contre ladite vente et la dite Claustre le contraire
a déclaré de plus laditte Claustre comparante que son mary a délaissé un habit neuf de bure avec une veste une paire de culotes que ledit Raimond Laffont vendit après... »
« le décès de son fils et que du produit de cette vente que la comparante ignore, il en fit son plaisir et volontés.
Surquoy ledit Laffont avouant la vente desdits meubles a déclaré sur sa conscience en avoir seulement retiré la somme de 15 livres
Laditte Claustre comparante a protesté contre ladite vente et ledit Laffont le contraire... »
Dans un acte notarié nous n'avons ni les regards ni les décibels...à vous de les imaginer en tenant compte du caractère « impulsif des Massadels. Ressentez-vous, comme moi, qu'à la fin de l'acte de 10 pages M° Delage commence à saturer ? Les tâches d'encre, la graphie me semblent trahir sa tension ou son énervement...
D'autres anticipent les problèmes de la cohabitation avec les enfants... et leurs conjoints comme François Laffont del Cardaÿre, il envisage même comment pallier cette difficulté (mais toujours dans le cadre de l'oustal, plus grand, il est vrai)
« à même pot et feu avec les héritiers bas nommés...et dans le cas que les uns et les autres ne puissent vivre ny compatir ensemble, le testateur lègue et laisse à ladite Marrot sa femme la jouissance de deux de sa maison à prendre vers le foyer d'ycelle ... » (Testament du 6-1-1782)
François est conscient de la difficulté de vivre à même pot et feu...l'a-t-il lui même subie dans sa jeunesse ???
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